Environnement

Replay : Face au privilège des jets

Découvrez l’enquête sur scène « Face au privilège des jets » en intégralité. Avec des révélations sur des jets privés d’homme d’affaires, comme l’avion de l’entreprise de Rodolphe Saadé, la CMA CGM.

Publié le 16 Oct 2024

 · 

Dernière mise à jour le  16 Oct 2024  à  17h10.

Pendant des mois, les journalistes Daphné Gastaldi et Mathieu Martinière ont enquêté sur l’aviation d’affaires, les jets privés et les hélicoptères. ils ont analysé les trajets de dizaines d’hommes d’affaires ou de compagnies en jets privés, avec les collectifs Mémoire Vive, We Report et le soutien de Journalismfund Europe.

L’aviation de luxe est aujourd’hui le symbole d’importantes inégalités sociales. Pour tout le trafic aérien, 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions de l’aviation commerciale, selon la revue Global Environmental Change. Soit 9% du trafic en Europe, selon le lobby européen Ebaa, le plus puissant du secteur.

Lire aussi : « Le jet privé de la CMA CGM »

La France est la championne de l’Union européenne des jets privés, en nombre de vols et d’émissions de CO2. Cela vient d’un rapport de 2023 de Greenpeace, qui demande l’interdiction totale des jets privés.

Si on se rapporte à l’empreinte carbone par passager, les trajets en jets privés peuvent être jusqu’à 14 fois plus polluants qu’un avion de ligne classique, et 50 fois plus polluant que le train, selon la fédération d’ONG Transport & Environment.

Les data analystes du collectif Mémoire Vive racontent leurs méthodes et découvertes. Les journalistes ont réussi à retrouver l’avion de la famille Pinault, 7ème fortune de France, qui dirige le groupe de luxe Kering, avec les marques Gucci ou Balenciaga, pour une enquête parue chez notre partenaire Mediapart. Mais aussi les jets de Total ou celui du président du Football Club de Nantes. Surtout, ils ont calculé leur empreinte carbone.

Les trois premiers jets, ceux d’Axa, de Total Energies et de la famille Pinault ont produit chacun l’équivalent de 4 siècles d’empreinte carbone d’un François moyen en un an.

Les trajets dans le Sud de la France ont également été analysés. Les vols Paris-Toulon, Paris-Nice ou Paris-Cannes étaient parmi les plus courants. Nice est l’un des deux plus gros aéroports d’affaires d’Europe, avec le Bourget, avec près de 35 000 mouvements de vols privés. Les vols les plus courts ont été enregistrés entre Nice et Cannes, deux villes à seulement 30 km de distance.  Des « sauts de puce », comme on dit dans le milieu. Il en existe entre 300 et 400 par an entre Nice et Cannes, soit environ 1 par jour selon les années, d’après le groupe des Aéroports de la Côte d’Azur.

Les jets des groupes Nicollin et CMA CGM

En travaillant sur ces données, les journalistes ont aussi retrouvé les jets privés utilisés par des hommes d’affaires et par des compagnies renommées du Sud de la France. Y compris des entreprises qui vantent leurs efforts en matière de décarbonation, de responsabilité sociale et environnementale.

Pour Mediavivant, ils ont identifié le jet de la famille à la tête du groupe de traitement des déchets Nicollin qui possède le club de foot de Montpellier. Mais aussi, le jet de la famille Chambon, qui est dans le top 500 des fortunes françaises, et qui possède les centres commerciaux Polygone à Cagnes-sur-mer ou à Montpellier. Ou encore le jet privé de Rani Assaf, président du club de foot de Nîmes et ancien bras droit de Xavier Niel chez Free. Contactés, ces entreprises ou personnalités ne nous ont pas répondu.

En creusant davantage, les journalistes ont identifié le jet privé utilisé par un homme d’affaires bien connu à Marseille et à l’international : Rodolphe Saadé, le patron de la CMA CGM, le 3e armateur mondial et une des plus grandes fortunes de France, qui vient de racheter BFM-TV.

Ce jet est capable de faire de longue distance et réalise régulièrement des allers-retours au Liban, d’où est originaire la famille, mais se rend aussi à Riyad, Abu Dhabi, Londres ou Washington.

L’équipe d’investigation a calculé ses trajets entre mai 2023 et avril 2024 : 129 trajets ont produit 2 468 tonnes d’équivalent CO2. Cela représente 274 ans d’empreinte carbone d’un Français moyen.

Cet usage du jet interroge quand on sait que la CMA CGM vante son projet de décarboner son activité de transport maritime pour réduire de 80 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2040.

Le groupe CMA-CGM n’a pas répondu en détail mais explique l’utilisation de ce jet privé ainsi : « Cet avion est utilisé à titre professionnel par les équipes de direction du Groupe CMA CGM. Cette utilisation est requise dans la mesure ou l’aéroport de Marseille Provence Marignane propose peu de vols commerciaux, pour les destinations citées par exemple. »

Précisons à ce stade que le jet privé utilisé par l’entreprise de Rodolphe Saadé fait des vols réguliers entre Marseille et Paris, un trajet court, direct, et bien couvert par des vols commerciaux ou des TGV.

La Côte d’Azur, destination privilégié des jets

Dans le sud de la France, ces jets font parfois des escales à Hyères, non loin de Saint-Tropez ou Nice.

La Côte d’Azur est une longue piste d’atterrissage pour les jets privés. D’ailleurs, l’aéroport de Nice, couplé à Cannes, se présente comme le 2e aéroport exclusivement dédié à l’aviation d’affaires en France.

L’aviation d’affaires représente 18% des mouvements sur Cannes Mandelieu et 40% à Nice, selon le porte-parole du groupe des Aéroports de la Côte d’Azur.

 « Au début, nous n’avions aucune information de la part de l’aéroport lorsque nous nous plaignions. Alors, on a commencé à mettre en place des mesures » , explique Albert Dauphin, le président de l’Association de défense contre les nuisances aériennes, interviewé sur scène lors de cette enquête sur scène à Mediavivant. Les riverains membres de l’association ont d’abord mis en place un système informatisé de signalements des nuisances sonores puis installé des sonomètres et des capteurs pour analyser l’impact de ces vols privés.

Un ballet d’hélicoptères peu contrôlé

Daphné Gastaldi et Mathieu Martinière font un focus sur les vols en hélicoptères privés ou commerciaux dans une zone très touchée dans le Var.

L’aviation d’affaires représente 30% environ des mouvements sur l’aéroport du Golfe de Saint-Tropez. En été, la commune de Ramatuelle souffre le plus : 55% du trafic d’hélicoptères de la presqu’île se fait sur son territoire, malgré l’existence d’un aéroport et d’une hélistation proches pour accueillir les hélicoptères. Des hélisurfaces privés ou commerciales poussent comme des champignons, parfois même dans les jardins de particuliers.

En 2023, il y avait 26 hélisurfaces commerciales et on comptait 82 hélisurfaces privés, sur l’ensemble du Golfe de Saint-Tropez, selon l’observatoire mis en place avec la Direction générale de l’aviation civile et les autorités. La même année, le ministre des transports Clément Beaune a même dû s’exprimer sur le sujet : il demandait au préfet du Var une diminution de 80% du trafic d’hélicoptères dans la zone pour limiter les troubles. Le compte n’y est toujours pas.

«On s’est très vite aperçu que si on voulait se battre contre les hélicoptères et les abus de ce trafic, il fallait être armé sur  le plan de la réalité des faits. Donc, on s’est doté d’une sorte d’observatoire en temps réel des mouvements d’hélicoptères sur la presqu’île. (…) C’est tout à fait anormal et scandaleux que ce soit à des particuliers de faire ce travail. Ce devrait être la responsabilité de l’Etat»,  dénonce Eric Burgeat, trésorier de l’association Ciel Calme pour Ramatuelle et ses environs, qui alerte les pouvoirs publics à partir de leurs données pour dénoncer des nuisances commises par certaines hélisurfaces privées.

Face aux dérives démontrées par l’association Ciel Calme pour Ramatuelle, des arrêtés de la préfecture en 2022 puis en 2023 limitent maintenant les horaires de circulation de ces hélicoptères, surtout en été.

Malgré ces avancées, l’Association CCR a plusieurs procédures en cours et dénonce la carence de l’état sur le manque de contrôles, une réglementation imparfaite ou encore le manque d’études d’impact sur les hélisurfaces privées. L’association a notamment déposé une plainte devant la Commission Européenne en mars 2023.

L’association de Ramatuelle relève une amélioration sur leur secteur, avec  -25% de trafic depuis 2022. Mais l’association reste en alerte car le trafic a augmenté sur les communes voisines. Le trafic n’a pas diminué sur l’ensemble de la presqu’île.

De son côté, Myriam Garcia, la sous-préfète du Var, estime que les contrôles se sont améliorés et que la situation s’est « pacifiée ». Pour elle, il faut « sensibiliser » les pilotes sur leurs trajectoires. L’objectif est « de ne pas bloquer, de concilier les usages, de permettre une activité économique, en garantissant la tranquillité publique ».

Pour en savoir plus, les journalistes ont contacté le groupe Eola, basé à Monaco, qui domine le marché dans cette zone. Sans succès. Alors, on a fouillé dans les comptes d’une de leur société : Hélisécurité. Il est indiqué que « l’activité charter fait face à un ralentissement s’aggravant du fait de l’image négative du transport en hélicoptères » notamment et des nouvelles limitations.

Dans Var Matin, en août 2021, les sociétés d’hélicoptères avaient décidé de prendre la parole face à leurs « détracteurs ». Les opérateurs assurent faire des efforts pour adapter leur trajectoire et éviter le survol de zones habitées. Certains auraient investi dans des hélicoptères moins bruyants et pouvant transporter plus de passagers.

Des « taxis volants » sur la Côte d’Azur ?

Après les jets et les hélico, y aura-t-il bientôt des « taxis volants » sur la Côte d’Azur ? Fin août, une réunion a eu lieu à Saint-Tropez. Une équipe de Lilium Jet est venue présenter leur jet électrique, avec décollage et atterrissage à la verticale.

Les aéroports de la Côte d’Azur annoncent déjà ces avions électriques et les infrastructures pour l’accueillir, d’ici 2026.  Avec une promesse : réduire de 95% les émissions par rapport à un hélicoptère, et aller vers des avions commerciaux électriques à terme. Mais ces taxis volants ne sont pas encore homologués. Déjà côté au Nasdaq, l’entreprise dit avoir récolté 1 milliard et demi de dollars et compte sur des investisseurs puissants comme Black Rock.

Pour eux, la région est à fort potentiel. Dans leur espoir futur, un trajet Saint Tropez-Cannes couterait dans les 100 euros. Dans les 200 euros pour un vol Saint-Tropez-Aix-en-Provence. Le groupe des aéroports de la Côte d’Azur, associé au projet, assure que le but ne sera pas d’augmenter le trafic, mais les associations craignent l’inverse avec cette nouvelle clientèle.

Lors de cette enquête, le lobby de l’aviation d’affaires Ebaa a été sollicité pour une interview, sans réponse de leur part.

Une enquête de Mathieu Martinière et Daphné Gastaldi, menée avec le soutien de Journalismfund Europe.


L'actu se raconte aussi dans notre newsletter

Avec des récits exclusifs. Vous y retrouverez également toute l’actualité de Mediavivant : l’avancée du projet, ses événements et les nouveautés.

Pour l’accès à de nouvelles enquêtes sur scène en salle et sur vos écrans : soutenez-nous

La qualité de l’information a un coût. Chaque euro compte.

En donnant mensuellement, vous donnez une visibilité financière à Mediavivant dont nous avons besoin : merci !

Vos dons sont déductibles des impôts à 66%.

Mediavivant existe aussi en podcast, 

écoutez nos enquêtes sur vos plateformes favorites :