Santé

Jean-François Stephan, psychothérapeute: «La personne se retrouve en contact avec une situation qu’elle essaie d’éviter»

L’utilisation de psilocybine, composé actif des champignons hallucinogènes, est autorisée au cas par cas au Canada pour traiter les anxiétés en fin de vie. Jean-François Stephan revient sur son expérience en tant que thérapeute.

Publié le 24 Mai 2024

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Dernière mise à jour le  27 Mai 2024  à  18h38.

Le médecin généraliste explique que peu de Canadiens connaissent la thérapie assistée à la psilocybine. DR
Le médecin généraliste explique que peu de Canadiens connaissent la thérapie assistée à la psilocybine. DR

Le psychothérapeute et médecin généraliste pratique la thérapie assistée à la psilocybine depuis presque deux ans à Montréal. Jean-François Stephan, forme aussi des professionnels de santé à ce type de thérapie pour accompagner des personnes en proie à des angoisses existentielles en fin de vie ou souffrant de dépression résistante aux traitements. 

Pourquoi cet intérêt pour les thérapies assistées aux psychédéliques?  

J’ai eu des expériences avec et sans substances qui m’ont offert des états de conscience, qui ont été des éléments de transformation de ma vie. La psychothérapie me passionnait déjà. J’ai commencé à en faire dès le début de ma pratique de médecin. Pouvoir combiner la psychothérapie avec des substances qui sont des catalyseurs d’expériences transformatrices, c’était vraiment idéal pour moi. J’ai fait une formation en 2021 avec Thérapsil, une association canadienne située en Colombie Britannique. C’est une combinaison de beaucoup de lectures suivie d’une formation intensive de cinq jours en présentiel. Une journée est dédiée à la respiration holotropique, une technique qui permet d’expérimenter un état altéré de conscience. L’utilisation de la psilocybine est encore illégale au Canada, on ne peut donc pas l’utiliser même dans le cadre d’une formation médicale. 

Les thérapeutes qui accompagnent les patient⸱es doivent-ils avoir expérimenté les psychédéliques pour pouvoir exercer? 

Beaucoup de patients sont rassurés de savoir que leur thérapeute a déjà été dans ces états-là. Cela peut créer un sentiment de sécurité et consolider un lien de confiance. Avoir eu une expérience personnelle avec la substance peut aussi biaiser le thérapeute, ça peut être un couteau à double-tranchant. Mon opinion professionnelle c’est que c’est à l’avantage des thérapeutes d’avoir une expérience personnelle pour pouvoir être en empathie avec le patient et ne pas prendre peur face à un état d’extrême détresse psychologique ou de perte d’orientation. Mais on est dans un cul-de-sac : comment les thérapeutes peuvent-ils avoir accès à cette expérience s’il n’y a pas de voie légale pour la vivre? 

Y a t-il un événement qui vous a marqué pendant une séance où vous avez accompagné une personne en proie à des angoisses existentielles de fin de vie? 

À peu près au milieu de la séance, une de mes patientes s’est assise et a dit : « Vous êtes là, moi je suis là, j’ai un cancer, je vais mourir ». C’était très clair, sans détour. Tout à coup, tout est tout nu, la personne se retrouve en contact avec une situation qu’elle essaie d’éviter de toutes les façons possibles. En fait, ça sort la mort d’un concept imaginaire. Je pense que c’est vraiment important pour cheminer thérapeutiquement. Je travaille avec un sentiment d’empathie avec mes patients, ça me demande d’être curieux, de prendre le risque d’être touché par eux. Être en empathie avec quelqu’un qui va mourir, ça veut dire considérer des questions comme : qu’est ce que ce serait pour moi de mourir? Si quelqu’un de proche de moi meurt? Tout le deuil, la tristesse, la colère, l’inconnu, l’espèce de déchirement, le cœur brisé qui vient avec ça. Je fais beaucoup de psychothérapie moi-même, de travail émotionnel personnel pour pouvoir rester ouvert et en lien avec ces personnes-là sans me brûler, sans me traumatiser, ça me fait vraiment mûrir et grandir de faire ce travail-là. 

Où en est la thérapie assistée aux psychédéliques au Canada? 
Chaque demande d’exemption passe par Santé Canada. C’est une heure de paperasse, des appels allers-retours avec eux, des semaines de délai et au final, ce n’est pas moi qui prend la décision, c’est Santé Canada. Ensuite, il y a très peu de thérapeutes formés pour offrir la psychothérapie assistée à la psilocybine. Il faudrait développer les offres de formation pour élargir l’accès. Enfin, pour l’instant, il n’y a pas tant de patients qui demandent cette approche-là, mais il y a aussi peu de patients qui en connaissent l’existence. Je suis pro-aide médicale à mourir, je pense que c’est important que les personnes aient le choix de faire ce qu’elles veulent avec leur vie.

Mélissande Bry


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