Santé

L’expérience mystique comme thérapie

Sous psychédélique, un cerveau réagit avec une amplification des perceptions encore mal expliquée par la science.

Publié le 30 Mai 2024

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Dernière mise à jour le  30 Mai 2024  à  16h41.

Le 17 mai, Mélissande Bry présentait sur scène son enquête «Un dernier trip : les psychédéliques et la fin de vie» (à revivre en intégralité en vidéo).

En 1971, l’ONU classe le LSD et la psilocybine dans la liste des stupéfiants. En conséquence, la recherche sur ces substances s’arrête presque totalement pendant près de 40 ans. Mais d’irréductibles chercheurs et chercheuses continuent à travailler dans l’ombre, jusqu’à la sortie d’un article étonnant dans la revue Psychopharmacology en juillet 2006. 

«  La psilocybine peut provoquer des expériences de type mystique ayant une signification personnelle et spirituelle substantielle et soutenue ». Le mot « mystique » dans un article scientifique, c’est surprenant. Mais ce n’est que le début pour Roland Griffiths, un prestigieux neuroscientifique de l’université John Hopkins à Baltimore. Dix ans plus tard, son équipe publie un autre papier, directement en lien avec les angoisses existentielles de fin de vie : « La psilocybine produit une diminution substantielle et durable de la dépression et de l’anxiété chez les patients atteints d’un cancer potentiellement mortel : un essai randomisé en double aveugle ».

Cette étude de 2016 montre qu’une seule forte dose de psilocybine peut être bénéfique sur le long terme. 

78% des patients ont vu leurs symptômes dépressifs et leur anxiété diminuer après la prise.

83% d’entre eux observent une amélioration dans leur qualité de vie, une plus grande acceptation de la mort, plus d’optimisme et de sens au quotidien. Encore plus surprenant, ces effets sont persistants, et ce même 6 mois après la prise.

Dans cet article, les chercheurs observent que ces améliorations sont fortement liées au fait d’avoir vécu ce qui est appelé une « expérience mystique ».

Florence Moureaux, une patiente canadienne, a fait une rechute d’un cancer en 2021. Elle décide de passer le pas et de tenter les thérapies assistées aux psychédéliques. Au Canada, la législation est stricte, ces substances sont totalement interdites à la consommation, mais on peut demander des exemptions pour pouvoir vivre l’expérience dans un contexte médical. Florence fait deux séances avec la psilocybine accompagnées par des thérapeutes formés, la première en mai 2022 et la deuxième en novembre de la même année.

«C’est comme si je vivais le présent tout le temps, parce que ça va tellement vite qu’il finit par plus y avoir ni d’avant, ni d’après, c’est là tout de suite, raconte-t-elle.  Je me suis retrouvée à un moment donné dans une espèce de pièce immense, qui avait des dimensions de cathédrales (…) C’était la magnificence. Ce qui se dégage de tout ça, c’est ce sentiment de bien-être et ce sentiment de n’avoir aucun besoin. Il n’y a pas à vouloir quoi que ce soit, à désirer, tout est parfait ».

Une « dissolution de l’ego »

Une expérience difficilement descriptible, la transcendance du temps et de l’espace, un sentiment de beauté, de sacré, une plénitude absolue. Voilà les caractéristiques de l’expérience mystique à la fois décrite par Florence mais aussi évaluées par un questionnaire très sérieux appelé le MEQ30 ou Mystical Experience Questionnaire, composé de 30 questions au total et utilisé dans les études citées plus haut. 

Maxime, atteint d’un cancer à 19 ans, témoignait dans un webinaire en ligne organisé par la société psychédélique française en octobre 2020. Il a lui aussi essayé les psychédéliques mais en dehors de tout contexte médical. Pendant une période de rémission de sa maladie, il a pris une grande dose de LSD à visée récréative. Il était avec des amis, dans un environnement sécurisant et avec une bonne préparation mentale en amont. Il dit alors avoir vécu une véritable « dissolution de l’ego ».  « Vivre l’anéantissement du moi, les angoisses que j’ai pu éprouver dans l’expérience psychédélique quand j’essayais de résister à la dissolution, ça résonne fortement avec l’angoisse de mort que j’ai éprouvé dans les moments les plus critiques de ma maladie», explique t-il.

Amplification des perceptions

Que se passe-t-il dans un cerveau sous psychédéliques? Lucie Berkovich est psychiatre et chercheuse. Après une thèse sur la conscience humaine et ses altérations dans les troubles psychiatriques, elle fait son post-doctorat à l’Université de Yale aux États-Unis. Aujourd’hui, elle participe à la mise en place d’études cliniques sur les effets thérapeutiques des psychédéliques en France, à l’hôpital Sainte-Anne. En visioconférence, elle témoigne pour Mediavivant : « On n’a pas complètement compris ce qu’il se passait au niveau cérébral quand une personne prend des psychédéliques, explique-t-elle. Le principal mécanisme est ce changement d’activation et de connexions avec d’autres aires cérébrales»

Lucie Berkovich revient également sur les perceptions de Florence. « C’est un phénomène qui s’appelle la synesthésie, c’est l’idée qu’on va pouvoir utiliser plusieurs modalités sensorielles ne même temps. Par ex, on va se retrouver à pouvoir associer des sons à des couleurs, ou inversement. Florence met en avant le caractère esthétique, très harmonieux de son expérience… Mais on pense aussi qu’il y a d’autres enjeux. Il y a l’amplification des perceptions avec des aires visuelles plus activées, comme si on voyait en haute qualité l’environnement., (…) et des effets émotionnelles ».

Lucie Berkovitch met en avant un point essentiel : ce ne sont pas tant les mécanismes cérébraux derrière l’expérience psychédélique qui sont importants. Différentes techniques ou substances peuvent mener à une expérience similaire, avec des risques plus ou moins élevés, ou en suivant un entraînement plus ou moins long, comme la méditation par exemple. Dans toutes ces altérations de la conscience, ce qui compte avant tout c’est l’intégration de l’expérience, le sens qu’on lui donne. 

Mélissande Bry


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