Santé

Quand la science découvre les psychédéliques

La psilocybine, le composé actif des champignons hallucinogènes, est une réponse aux angoisses face à la mort. Dans les années 60, son utilisation à des fins thérapeutiques le démontre. Elles renaissent aujourd’hui.

Publié le 29 Mai 2024

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Dernière mise à jour le  30 Mai 2024  à  15h45.

Le 17 mai, Mélissande Bry présentait sur scène son enquête «Un dernier trip : les psychédéliques et la fin de vie» (à revivre en intégralité en vidéo).

Depuis quelques années, le monde scientifique vit une véritable « renaissance psychédélique ». Le LSD et la psilocybine, le composé actif des champignons hallucinogènes, auraient des effets thérapeutiques étonnants. Étudiées dans des domaines comme la dépression, l’addiction ou les angoisses existentielles de fin de vie, ces substances pourraient faire leur grand retour dans le milieu médical, si la législation le permet. 

Aujourd’hui encore, les psychédéliques sont classées par l’ONU comme des «drogues dangereuses présentant un risque grave pour la santé publique et sans intérêt thérapeutique». Pourtant, les sciences disent l’inverse. 

La dangerosité du LSD et de la psilocybine est relativement faible comparé à des drogues légales comme l’alcool ou le tabac. 

Une étude britannique, publiée dans le prestigieux journal The Lancet en 2010, l’a démontré. Depuis quelques années, de nombreux acteurs médiatiques et culturels déboulonnent les mythes tenaces qui collent à la peau du LSD et des champignons hallucinogènes.

Enquêtes, séries Netflix, expositions, conférences, livres…l’opinion publique sur les psychédéliques est en train de changer. En conséquence, la demande pour ce type de thérapie augmente progressivement et des professionnels de santé sont prêts à se former en Amérique du Nord et dans certains pays européens comme en Suisse ou en Allemagne. 

Emmanuel Macron: «Regarder la mort en face»

La loi sur la fin de vie est débattue à l’Assemblée Nationale. Même si cette loi est nécessaire et très attendue, des professionnels de santé s’inquiètent d’un accès à la mort simplifié, sans réelle réflexion sur le développement d’alternatives thérapeutiques moins radicales. En France, seul un tiers des malades qui en ont besoin ont accès aux soins palliatifs, soins qui ont pour but de prévenir et d’atténuer les souffrances liées à des maladies incurables. Alors que le système de santé publique est débordé, certains craignent un recours à la fin de vie comme une voie du désespoir plutôt qu’un réel choix. 

En mars, le président Emmanuel Macron parlait de cette loi en disant qu’elle permettait de «regarder la mort en face». Selon des experts et des expertes, les thérapies assistées aux psychédéliques semblent remplir cet objectif. Elles aident à accepter le fait que la souffrance fait partie de la vie et que la perspective de sa propre mort, même si elle fait peur, n’a pas à être vécue dans un interminable flot d’angoisse.

Maxime avait 19 ans quand on lui a annoncé qu’il avait un cancer de la thyroïde à un stade très avancé. Pendant 20 ans, il alternera entre des longues périodes de rémission et des rechutes plus courtes mais très sévères. Aujourd’hui, son état est stable et sa qualité de vie a grandement augmenté. En octobre 2020, lors d’un webinaire en ligne organisé par la société psychédélique française en octobre 2020, il décrivait avec précision son état psychologique à différents stades de sa maladie. « Cette certitude de mourir bientôt qui est aussi solide qu’imprécise, c’est vraiment ça le socle de mon anxiété, c’est de là que je me projette dans un avenir qui rétrécit, un futur qui s’effrite à mesure que la maladie progresse», dit-il. Il raconte ses « angoisses de mort aiguës » avec « une difficulté respiratoire importante à un moment ou un rythme cardiaque ponctuellement anormal. »

Les soins palliatifs: un accompagnement nécessaire

En 2021 à Montréal, Florence Moureaux fait une rechute de son cancer du sein. À juste 61 ans, les médecins lui annoncent que cette fois-ci, le cancer est arrivé au stade 4, il est donc incurable. Elle tombe dans un sentiment d’abattement profond qu’elle juge très différent d’une dépression. Elle évoque une quête de sens liée au spirituel.  

Cette dimension spirituelle est prise en compte par la définition des soins palliatifs de l’OMS: « Les soins palliatifs améliorent la qualité de vie des patients et de leur famille confrontés aux problèmes associés à des maladies potentiellement mortelles, qu’ils soient d’ordre physique, psychosocial ou spirituel.»

Cette définition s’inspire directement du concept de «douleur totale» formulé par la médecin britannique Cicely Saunders à la fin des années 60. La douleur est une expérience globale : si on veut la traiter correctement, il faut passer par une approche pluridisciplinaire. 

Les soins palliatifs sont mobilisés dans l’accompagnement d’une maladie qui ne peut pas ou plus être guérie totalement. En oncologie, les soins palliatifs font partie d’un dispositif plus général appelé les soins de support. C’est un accompagnement varié et complexe qui a pour but de réduire la «douleur totale » des malades. Ces soins sont pris en compte dans le projet de loi actuel sur la fin de vie. 

Beaucoup d’approches se concentrent sur les dimensions physiques et psychologiques : psychothérapie, kiné, traitements médicamenteux, méditation… Sur le plan spirituel, les malades peuvent faire appel à une institution religieuse s’ils le souhaitent. Comme Maxime et Florence qui n’appartiennent à aucune religion, des patients et patientes se retrouvent alors complètement démunis face à leur maladie qui les fait vivre à l’ombre de la mort. Comment la médecine, rationnelle et protocolaire, peut-elle apporter une aide sur le plan de la spiritualité qui est, par définition, intime et singulière? 

« 32 heures sans douleur »

Avant les années 60, la fin de vie se résume à des injections de cocktails d’antidouleurs et de sédatifs jusqu’à la mort des patients, plongés dans un semi-coma. Aux États-Unis, une partie du corps médical cherche des méthodes de soins plus adaptées à une fin de vie digne. C’est le début de ce qui sera appelé plus tard les soins palliatifs. À cette époque, deux substances sont au cœur de nombreuses recherches : le LSD et la psilocybine, le composé actif des champignons hallucinogènes. 

Zoé Dubus, historienne de la médecine, travaille sur l’histoire des substances interdites à la consommation mais qui ont un intérêt thérapeutique comme la morphine, le cannabis ou encore les psychédéliques. Elle rappelle que «le LSD est une des substances médicales les plus utilisées au monde dans les années 50-60.» Une première étude réalisée en 1963 dévoile des résultats inattendus: «On parle de 32 heures sans douleur avec une administration une fois de LSD.» Erik Kast qui a réalisé cette première étude, améliore encore les résultats en développant les techniques de « set and setting »: « Informer les patients sur les effets qui sont attendus par le produit, les accompagner en permanence pendant l’expérience, faire en sorte que la pièce dans laquelle l’expérience va se passer soit confortable.» La préparation de la prise de psychédélique et son accompagnement sont aussi importants que l’expérience elle-même. 

C’est un changement de paradigme total pour la médecine à l’époque, un tout autre rapport au soin. Cette attention accordée au set and setting, très diffusée aux États-Unis, n’était pas du tout répandue en France. Ici, le LSD était utilisé dans ce qu’on appelait des thérapies de choc, sans aucune préparation ni suivi. Cette méthodologie des médecins français pouvait parfois mener parfois à des expériences très difficiles voir traumatisantes. Les résultats étaient donc peu probants et les études vite abandonnées dans l’hexagone. 

« Le poison de l’esprit »

Aux États-Unis, au contraire, les recherches prometteuses sur les psychédéliques s’accumulent durant les années soixante. En parallèle, le mouvement de contre-culture hippie s’empare de ces substances qui «ouvrent l’esprit». Les puissances conservatrices de l’époque s’inquiètent de cette jeunesse décadente, pacifiste, qui prône l’amour libre et des droits pour tous et toutes. Quelques scandales très médiatisés, notamment liés à l’usage récréatif de LSD, vont déclencher une panique morale sans précédent qui va vite s’exporter en Europe. 

Dans les journaux français des années 60, on parle de «poison de l’esprit», « la drogue qui rend fou ». Cette violente campagne de stigmatisation est très efficace et fait naître une peur panique des psychédéliques dans la population. 

Pour protéger les patients et s’assurer de l’efficacité des médicaments avant de les mettre sur le marché est progressivement mis en place des tests en double aveugle contre placebo. Il y a deux groupes de patients, un auquel on administre la substance testée et l’autre un placebo. Ni le médecin, ni le patient ne savent quelle substance est le placébo. « Ça marche très bien pour tous les médicaments mais ça ne marche pas du tout pour les psychédéliques car au bout d’une demie-heure le patient, comme le médecin vont très bien se rendre compte si c’est du LSD ou si c’est du sucre », explique Zoé Dubus.

Ce contexte scientifique arrive en même temps qu’un contexte social et culturel très défavorable aux psychédéliques. En 1971, l’ONU classe le LSD et la psilocybine dans la liste des stupéfiants. En conséquence, la recherche sur ces substances s’arrête presque totalement pendant près de 40 ans. Mais d’irréductibles chercheurs et chercheuses continuent à travailler dans l’ombre, jusqu’à la sortie d’un article étonnant dans la revue Psychopharmacology en juillet 2006.  

Les cartes sont alors rebattues. « L’expérience mystique comme thérapie », racontera l’utilisation actuelle de psychédéliques à des fins thérapeutiques. 

Mélissande Bry


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