Côte d'Azur

Yvan Gastaut : « Le Cannes industriel, on le voit moins »

L’historien Yvan Gastaut décrypte l’histoire et l’évolution des quartiers stigmatisés de la French Riviera.

Publié le 3 Juin 2024

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Dernière mise à jour le  4 Juin 2024  à  16h36.

Yvant Gastaut, historien à l'université Côte d'Azur à Nice, raconte l'évolution des quartiers paupérisés de cette côte touristique. 2 mars 2024. Crédit : D. Gastaldi
Yvant Gastaut, historien à l'université Côte d'Azur à Nice, raconte l'évolution des quartiers paupérisés de cette côte touristique. 2 mars 2024. Crédit : D. Gastaldi

Dans les Alpes Maritimes, la saison estivale et son tourisme de luxe font oublier les populations pauvres dans les quartiers périphériques. Historiquement, la ville de Nice s’est transformée avec l’apparition de grands ensembles dès la fin des années 50, avec pour objectif d’éradiquer des bidonvilles. En 2024, la fracture sociale est forte de Monaco à Cannes, les villes les plus glamours de la Côte d’Azur. Pour notre enquête « Sous le soleil, des cités », Yvan Gastaut, historien et maître de conférence à l’université Nice-Côte d’Azur, décrypte le développement des cités sur cette bande littorale si convoitée.

Comment ont été créés les quartiers Est et Nord de Nice, parmi les plus pauvres de la Côte d’Azur ?

Ces grands ensembles, dont un des maîtres d’œuvre était le député-maire de Nice Jean Médecin, étaient vus comme une avancée moderne. L’Ariane ou les Moulins étaient des quartiers ruraux. Aujourd’hui, ces quartiers sont vus comme « des verrues urbaines ». Il y a un brassage de population qu’on voit mal car on ne voit que le tourisme cosmopolite et mondain. 

Il y a derrière tous les acteurs, les travailleurs et travailleuses immigrés qui sont relégués aux Moulins, à l’Ariane, à Las Planas ou au quartier Bon Voyage.  Dans les années 60, ce sont des travailleurs du bâtiment. Ils construisent l’autoroute, le port de Saint-Laurent, ces immeubles dans lesquels certains vont habiter. Ces populations vont jouer un rôle fondamental pour la modernisation et le tourisme sur la Côte d’Azur. Ces quartiers ont été construits pour les classes moyennes  au départ et vont être occupés par des travailleurs immigrés. Il y a le poids des représentations et des préjugés, et une forme de stigmatisation profonde.

Cette fracture sociale, entre ultraluxe et pauvreté, est-ce spécifique à la Côte d’Azur ?

On trouve ce grand fossé de façon nette sur la Côte d’Azur. Le principal projet est de favoriser le tourisme, qui est le sel et le miel de la Côte d’Azur. Il y a un double cosmopolitisme : celui des élites, avec un luxe effréné dès la fin du 19e siècle. C’est un brassage déstabilisant pour les populations locales, face à ces longs séjours de tsars, rois  et empereurs. La population locale se met à leur service. Et puis, il y a le cosmopolitisme des immigrés qui est venu accompagner cette activité locale et son développement, dès la fin du 19e siècle, en provenance d’Italie, puis de Yougoslavie et, par la suite, du Maghreb.

Les quartiers pauvres de Nice et des villes voisines comme Vallauris ou Cannes sont-ils comparables ?

Dans ces fameux quartiers dits « à problèmes », il y a par exemple la Zaïne [renommé « Les Hauts de Vallauris », ndlr] qui est un condensé de ce qu’on peut retrouver à Nice. Vallauris, c’est la ville des potiers, de Picasso et des traditions provençales. Brutalement, dans les années 70, un grand ensemble est construit sur une partie haute de la ville : la Zaïne devient rapidement un lieu de relégation, stigmatisé, avec des problèmes réels. À Grasse aussi. On a dans la vieille ville à la fois des artistes de haut niveau, des parfumeurs et une immigration de grande pauvreté. Cette urbanisation est très différenciée. Il y a des grands ensembles qui contrastent beaucoup avec le côté provençal. On peut relever que, dans ces quartiers dits « périphériques », il y a une diversité des populations maghrébines, cap-verdiennes ou tchétchènes.

À Nice, la  pauvreté est-elle surtout visible dans la métropole ?

La métropole de Nice n’est pas la seule concernée par cette pauvreté. On peut la retrouver aussi dans ce qu’on appelle l’arrière-pays, avec un grand ensemble qui s’est développé dans les années 70 : Carros et ses immeubles visibles depuis la plaine du Var.  Cette pauvreté existe aussi dans les villages de l’arrière-pays. Il y a un grand différentiel. La Côte d’Azur n’est pas ce qu’on voit sur la Promenade des Anglais ou la Croisette…Cet arrière-pays est marqué par les effets de ce tourisme de luxe. Il y a des communes comme Beausoleil, extrêmement cosmopolite, avec des personnes qui travaillent à Monaco et  vivent dans des logements parfois sordides, dans cette commune de repli. Ou encore le quartier de Ranguin à Cannes. Le Cannes industriel, on le voit moins quand on regarde le festival de Cannes. Ces déséquilibres suscitent des malentendus. L’histoire des travailleurs immigrés n’est pas considérée dans le patrimoine local, ce qui est un problème. 

Propos recueillis par Daphné Gastaldi


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