Côte d'Azur

Des taux de pauvreté record

A la difficulté de se déplacer, s’ajoute le problème de logement sur la Côte d’Azur où le foncier bat des records.

Publié le 5 Juin 2024

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Dernière mise à jour le  6 Juin 2024  à  16h50.

Le 23 mai, Daphné Gastaldi présentait sur scène son enquête «Sous le soleil des cités» (à revivre en intégralité en vidéo).

Dans la métropole de Nice, on ne l’imagine pas mais 1 personne sur 5 vit sous le seuil de pauvreté.

Chaque commune est soumise à la loi SRU qui impose 20 à 25% de logement social. Sur la Côte d’Azur, il en manque près de 50 000. C’est 33 communes qui doivent payer des indemnités encore cette année, dont Grasse, Vallauris et Nice. Il y a la carence des logements sociaux mais aussi l’insalubrité quand cela n’a pas été rénové.

La ville de Nice doit payer près de 7 millions d’euros cette année, car le nombre de logements sociaux est encore loin du pourcentage exigé par la loi.

Interrogée, la mairie rappelle avoir permis « une augmentation de 31% des logements sociaux » depuis 2008. La mairie dénonce une loi qui ne serait plus réaliste.

Selon Anthony Borré, premier adjoint de Nice, délégué au logement et à la rénovation urbaine : « Il faut permettre aux maires de fixer eux-mêmes, en accord avec le préfet, les objectifs de construction de logements sociaux et donc sortir de la règle des 25 % ». L’élu est aussi président de Côte d’Azur Habitat, le plus gros bailleur social.

La Fondation Abbé Pierre a rendu un rapport sur le mal-logement à Nice, à l’automne 2023. Pour en savoir plus sur le mal-logement, Francis Vernède, directeur de la fondation Abbé Pierre en Provence Alpes Côte d’Azur, est interviewé sur scène.

« Il y a beaucoup de disparités. C’est un territoire avec beaucoup de contrastes, au détriment des personnes mal logées », explique-t-il. Le territoire de Nice est devenu une zone prioritaire pour la fondation Abbé Pierre car « il y avait beaucoup de voyants au rouge ». « On a beaucoup de personnes pauvres, très peu de logements sociaux et un parc privé très cher, ça fait un appauvrissement massif », constate Francis Vernède. « Ce qui nous a choqué, c’est que Nice est la ville de France où il y a le plus fort taux de suroccupation (…) qui génère beaucoup de difficultés de santé ou de suivi de scolarité ».

Dans ce rapport, la résidence sociale Nicéa est indiqué comme le quartier le plus pauvre de France. « C’est une résidence particulière qui accueillait des travailleurs immigrés en situation de retraite. Il y a un taux explosé de pauvreté. C’est le type d’endroit dont on ne veut jamais entendre parler », détaille-t-il. Le gestionnaire Adoma n’a pas souhaité nous répondre.

À la place de la résidence Nicéa, Christian Estrosi, le maire de Nice, veut y construire un hôpital d’ici 2031, dans un grand ensemble qui s’appellera « La cité des santés ». Mais la mairie a précisé qu’ « aucun projet n’est arrêté à ce jour ». La ville de Nice assure qu’elle prendra sa part «  pour accompagner le relogement et les compensations » des habitants. En ajoutant : « cette opération ne baissera pas le nombre de logements sociaux, la compensation permettra une offre nouvelle, aux normes actuelles en évitant la concentration d’une population précaire dans le cadre d’une approche globale et de mixité sociale. »

Quand tout dégringole, les situations deviennent « catastrophiques ». « Il y a une explosion du sans-abrisme à Nice », explique également Francis Vernède.

« On rénove mais on ne solutionne pas le fonds du problème » 

À 30 kilomètres de Nice, si on prend la route littorale, on arrive sur la Croisette… À Cannes, connu pour ses hôtels de stars, le Carlton ou le Majestic.

Sur la Croisette à Cannes, juste avant le festival de cinéma. Avril 2024. Crédit : D. Gastaldi

Derrière cette façade de bord de mer, se trouve des barres d’immeubles, des quartiers entiers qui se succèdent jusqu’aux collines, ce qu’on appelle Cannes la Bocca. Dans cette partie de la ville, plusieurs quartiers comme Ranguin ou la Frayère sont réunis dans un grand quartier prioritaire, au Nord de la Bocca.

La ville de Cannes vient tout juste de sortir de la liste des villes carencées en logements sociaux. Des grands plans de rénovations sont en cours, mais la situation reste précaire socialement.
Dans le quartier populaire de la Bocca,  le syndicat d’initiative et de défense des habitants réclame plus de police, plus d’éducateurs de rue, et milite pour un renouveau des commerces.  

À la tête de cette association, Laïd Bouzetit, travaille comme agent de maîtrise à la mairie de Cannes sur la rénovation urbaine. Lors de l’interview, il partageait un certain nombre d’idées du maire de Cannes, David Lisnard, membre des Républicains et fondateur du mouvement Nouvelle Énergie. Laïd Bouzetit a d’ailleurs soutenu un temps la députée de la circonscription, une fidèle du maire de Cannes. Mais il critique aussi certains aspects de la gestion des quartiers.  Il aime rappeler, je cite, que « c’est la Bocca qui a fait Cannes, à travers les verreries et les abattoirs»

Cette figure locale répète souvent qu’il y a « une situation sociale explosive », avec un taux de pauvreté de 21% en 2021, selon l’INSEE. Un taux supérieur à la moyenne régionale et nationale. Ce comité d’habitants s’inquiète aussi de la hausse des violences liées au trafic de drogues et réclame plus de sécurité. Même s’il est conscient que, je cite : « La police ne peut pas tout faire. Il faut plus de politique sociale ».

« Aujourd’hui, on rénove mais on ne solutionne pas le fonds du problème », dit-il.

Pour comprendre la situation, la journaliste a échangé avec d’autres acteurs et consulter des documents sur la situation de certains quartiers dont ceux de Cannes depuis 2020, transmis par une source anonyme.

Dans les faits marquants, de septembre à novembre 2023, le quartier de la Frayère à Cannes La Bocca a été marqué par une guerre de territoire pour le trafic de drogues, avec des violences, coups de feu et interventions de CRS. Les habitants ont témoigné d’une rivalité avec des trafiquants de Toulon.

La mairie et le procureur ont organisé des « opérations coups de poing » et une trentaine d’interpellations ont été menée.

Sollicitée, la ville de Cannes a accepté une interview notamment avec Thierry Migoule, le directeur de cabinet du maire David Lisnard 

Il insiste sur la transformation de Ranguin et de la Frayère, et d’une politique de la ville différente. « À l’époque, les logements sociaux étaient concentrés sur Ranguin et la Frayère, d’où cette paupérisation. (…) Il y a eu une reprise en main de ce quartier », explique Thierry Migoule. Aujourd’hui, 30 millions d’euros sont fléchés sur la Frayère.

Une livraison de logements sociaux est prévue pour septembre. Environ 70 logements sont réalisés ou en cours de réalisation dans le bas de la Californie, cette colline réputée, où se trouvent plus en hauteur des villas de luxe mythiques et de milliardaires.

Thierry Migoule compte sur l’implantation prochaine d’entreprises renommées et d’école pour faire « un effet levier » dans les quartiers, « même d’un hôtel quatre étoiles à la Bocca ».

Les habitants des quartiers pauvres eux se sentent toujours à l’écart socialement. Aller sur la Croisette reste un autre monde.

La réhabilitation de la Zaïne à Vallauris

La Côte d’Azur, c’est aussi Vallauris, en haut d’une colline limitrophe de Cannes. La ville des potiers et de Picasso…

Malgré tout, Vallauris a cette image qui colle à la peau :

La mauvaise réputation du quartier de « La Zaïne », avec par le passé ses trafics,  ses feux de voiture ou véhicules braquées. Une image « obsolète » pour les acteurs de terrain, « même s’il y a toujours des problèmes ».

Le quartier ne s’appelle même plus la Zaïne : il a été renommé « Les Hauts de Vallauris » mais le nom est resté dans la mémoire collective.

Le quartier des Hauts de Vallauris. Mars 2024. Crédit : D. Gastaldi

Depuis, la situation a évolué, après une forte réhabilitation – deux tours ont été abattues et il n’en reste que 10- même si du trafic de drogues peut subsister. Une unité spéciale de CRS,  basée à Marseille, est intervenue en décembre, suite à des tensions et des lancements de pierre et de mortiers. Le fait d’une poignée de personnes.

À Vallauris, les jeunes des quartiers prioritaires qui comptent près de 3000 habitants, craignent d’être étiquetés, en disant qu’ils viennent des Hauts de Vallauris ou de la vieille ville.

Chrystèle Poëns, 52 ans, est assistante sociale, et intervient en milieu scolaire auprès des familles de Vallauris-Golfe-Juan. Depuis 30 ans, elle constate l’invisibilisation des populations pauvres. «Tous ces quartiers n’apparaissent pas, on ne les voit pas. On offre une sorte de paradis aux gens qui viennent. On ne pense pas assez aux gens qui vivent là, les travailleurs de l’ombre, qui essayent de vivre comme ils peuvent dans leur département », explique-t-elle lors de l’enquête sur scène à découvrir en vidéo.

« On a une recrudescence d’enfants qui ne savent pas nager », constate-t-elle depuis quelques années.  Le nombre d’enfants qui ne sait pas nager à l’entrée en 6e à Vallauris a même doublé depuis 2007. Ce qui montre les écarts de vie sur ce bord de mer.

Du côté de la prévention, Les Apprentis d’Auteuil œuvrent depuis des années sur le quartier. En lien avec le collège, ils ont aidé à faire diminuer le nombre d’élèves temporairement exclus du collège, qu’ils suivent de près.

Zahra Ait-si-Bella, est responsable d’activité aux Apprentis d’Auteuil. Depuis son arrivée en 2013, elle constate que le quartier de la Zaïne est moins enclavé. Mais, selon elle, la mobilité reste un enjeu : il faut apprendre à sortir du quartier, aller à la mer ou à la montagne, s’organiser en covoiturage et s’approprier le territoire. « On a vraiment accompagné sur cette dynamique. Le quartier ne doit pas être le seul repère environnemental. Avec des familles parfois pas véhiculées. Aujourd’hui, dans ce quartier, il y a beaucoup de mouvement et les familles se déplacent. (…) Ce n’était vraiment pas le cas il y a quelques années en arrière. Beaucoup de familles n’avaient même pas vu la mer « , explique Zahra Ait-si-Bella. Avec l’équipe, les Apprentis d’Auteuil font également des déambulations auprès des habitants, ont œuvré pour installer un jeu d’enfants, des activités au cœur de la cité, pour que les familles se réapproprient l’espace public. Une façon de repousser aussi le trafic à la lisière du quartier.

Ces dernières années, l’évolution sociale des familles est passée aussi par l’insertion professionnelle. Parmi ses succès, l’association compte au moins 15 mères de famille aidées dans le cadre d’un de leurs ateliers, qui ont  décroché un emploi, quelques CDI même, dans le ménage, l’aide à la personne ou au collège voisin.

La ville des parfums

Comme à Vallauris, une dernière ville, plus au Nord dans les terres, surprend par ses contrastes : Grasse… La ville des parfums où se croisent touristes du monde entier et des familles extrêmement pauvres.

Dans la vieille ville de Grasse se croisent des touristes internationaux et des habitants précaires, logés dans des immeubles vétustes. Avril 2024. Crédit : D. Gastaldi

Le centre ville est classé prioritaire et l’insalubrité de certains logements du centre historique  est dénoncée.

En contrebas du centre historique, les Fleurs de Grasse et ses HLM font partie des quartiers qui ont des taux de chômages, d’emplois précaires ou de personnes sans diplôme parmi les plus élevés en moyenne, par rapport au reste de la région, selon un rapport du cabinet Le Compas de novembre 2022.

Des plans de réhabilitation sont en cours et des relogements ont débuté.

A Grasse aussi, les points de deals sont surveillés. Ces dernières années, de nombreuses tensions ont conduit à des violences, notamment par armes, ou des affrontements avec les forces de l’ordre.

Pour apaiser la situation, les éducateurs de rue  de l’association Montjoie sillonnent la vieille ville et les alentours de la gare. Farouk Mahnane en est une figure.

Il a d’abord exercé pendant plus de vingt ans dans les quartiers de Cannes,  et il est désormais à Grasse. Farouk Mahnane est fait pour être sur le terrain. Il analyse la situation :

 « Le cliché,  c’est de croire que tous ces quartiers vivent du trafic de drogues. C’est complètement faux.  Ils vivent un peu de leur travail, parfois de l’argent au noir dans le bâtiment, sans être déclarés.

Ce qui est invisibilisé, ce qu’on ne veut pas voir : des tas de jeunes qui se refusent de rentrer dans le système D et dans l’argent facile. »

Farouk Mahnane et les éducateurs spécialisés du service Passaj de l’association Montjoye suivent depuis des années les habitants de ces quartiers, comme Marwane qui réussit bien au lycée, Yassine à l’université, Ibrahim déscolarisé à 16 ans mais qui rêve de devenir mécanicien sur les bateaux, et Sandrine, mère seule avec sa fille. Leurs témoignages sont à découvrir dans la vidéo de l’enquête sur scène.

« Tout le monde veut se montrer ici, alors que personne n’a rien. Même les gens qui n’ont rien veulent se montrer. C’est un paradoxe », témoigne un jeune habitant de Grasse.

Un paradoxe alors que les Alpes Maritimes s’apprêtent à attirer des millions de touristes cet été.

Une enquête de Daphné Gastaldi


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