Côte d'Azur
Le combat pour «sortir des quartiers»
Dans cette partie de l’enquête, les acteurs de terrain racontent leur combat pour donner de nouvelles perspectives aux habitants des cités de la Côte d’Azur.
Le 23 mai, Daphné Gastaldi présentait sur scène son enquête «Sous le soleil des cités» (à revivre en intégralité en vidéo).
À Nice, dans le quartier de l’Ariane, des enseignants ont innové en créant une classe spéciale appelée « Fil d’Ariane », au collège Maurice Jaubert. Dans ce quartier, 67% des collégiens appartenaient à des familles défavorisées, selon les données du ministère de l’Éducation en 2020. Cette classe suit un rythme intense de « lectures-débats-écritures » pendant tout le collège.
Une des enseignantes à l’origine du projet, Fanny Danna, avec Sarah Gaziello notamment, a noté des résultats étonnants : 1/3 d’absentéisme en moins, des élèves valorisés qui décrochent moins et empruntent plus de livres au CDI que les autres classes. Une initiative qui a même inspiré d’autres établissements.
Du haut de leurs 12 ans, ces élèves en quartier prioritaire se sont décrits comme « de petits philosophes ». Zaccharia, Melina, Angelina, Assil, Hidaya parlent de cette fracture urbaine qu’ils vivent de plein fouet, au quotidien : « les gens disent que c’est l’un des quartiers le plus dangereux de la côte d’Azur. Selon eux , on est des personnes méchantes alors que pas du tout », s’étonnent les élèves.
La métropole de Nice a entrepris une rénovation urbaine importante dans les quartiers de Nice à l’Ariane, à Pasteur, aux Moulins. L’impasse des Liserons et Nice-Centre sont aussi concernés. Une nouvelle phase de rénovation est en cours, avec un budget de 300 millions d’euros jusqu’à 2030.
Actuellement, le trafic de stupéfiants ou la prostitution de mineurs sont un enjeu pour les associations sur le terrain, surtout aux Moulins, à Las Planas ou aux Liserons. Car les jeunes désœuvrés sont des proies faciles pour les trafiquants, pour surveiller les points de deal.
La répression des violences et des trafics se fait à grand renfort médiatique. Les villes de Nice, Cannes ou Grasse réclament des renforts de police. Christian Estrosi, le maire de Nice et aussi vice-président du parti Horizons, promeut sa politique de couvre-feu pour les mineurs depuis des années ou d’installation de caméras de surveillance.
Dans le quartier des Moulins, la mairie et des bailleurs sociaux viennent d’annoncer la création d’une équipe semi-privée d’agents armés, avec matraques et bombes lacrymo, pour « une présence visible, dissuasive et rassurante » et pour « intervenir face aux troubles », comme on le voit sur ce tweet d’Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice, également à la tête du 1er bailleur social Côte d’Azur Habitat.
Le député Eric Ciotti, lui, à la tête des Républicains, a lancé une proposition dans la presse : il rêve de « verrouiller les quartiers jour et nuit par les forces de l’ordre » et dénonce l’action qu’il juge insuffisante du gouvernement.
Fin mars, après des tensions aux Moulins, la préfecture des Alpes maritimes n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler à Eric Ciotti ses actions contre le narcotrafic : près de 400 opérations et 1000 interpellations depuis un an dans ce seul quartier. L’opération Place nette se déroule actuellement aux Moulins.
La démonstration de force d’un côté… De l’autre la prévention, avec l’immense travail des éducateurs de rue. La ville de Nice indique déployer « une trentaine d’éducateurs spécialisés intervenant auprès des jeunes» et soutenir une vingtaine d’associations.
Dans le département, de nombreuses structures déplorent des manques de moyens et se démènent dans ces quartiers ghettoïsés, auprès de ceux qui sont tristement appelés « Les invisibles ».
Cela vient d’un terme technique: les neets, un acronyme anglais qui veut dire les jeunes ni scolarisés, ni employés, ni en formation (not in education, employment or training, ndlr). Les jeunes de l’ombre.
À Nice, Jean-Louis Chaline est chef de service de la prévention spécialisée au sein de l’ association Agir pour le lien social et la citoyenneté, l’ALC, qui est installée dans les quartiers Est de Nice depuis douze ans. « Les invisibles, c’est un bien vilain mot pour parler des jeunes qui sont dans rien, qui sont en panne », commente-t-il.
Avec l’ALC, ils aident les jeunes à s’insérer, à gérer leurs dossiers administratifs ou judiciaires. Les accompagner, c’est parfois aussi leur trouver des activités, une façon de « sortir de leur quartier ».
Les problèmes de mobilité sont un enjeu crucial dans ces zones enclavées.
À L’Ariane, comme aux Liserons, il n’y a pas encore de tramway qui relie au centre-ville. Un projet annoncé n’en est encore qu’à la phase d’étude.
Sortir de son quartier a un coût. Certains prennent le risque de ne pas payer, ou ne sont pas assez informés des abonnements, prennent ensuite de mauvaises habitudes.
En enquêtant, nous avons découvert un phénomène peu connu : certains jeunes de Nice, mais aussi de communes alentours, sont surendettés, avant même d’avoir 18 ans, à cause des amendes qu’ils ont pris dans le bus, le tramway pour aller à la plage ou dans les villes voisines. De simples amendes de transports au départ mais jamais payés, majorées et accumulées au fil des ans.
C’est le cas de Manuel, un jeune homme de 21 ans, qui est à la recherche d’emploi. Il essaye de ne pas reproduire le schéma familial : la plonge ou le bâtiment pour les hommes.
Mais aujourd’hui, il fait partie de ces jeunes très endettés, notamment à cause d’amendes impayés dans les transports en commun de Nice et de la SNCF. Les montants de ces fraudes peuvent être faramineux, ce que m’ont confirmé plusieurs éducateurs et un agent du trésor public.
Mais le service de recouvrement des amendes n’a pas voulu me communiquer de données sur le phénomène ni accepter d’interview.
« Moi j’ai jamais payé les trains, transports…Ça parle en 5 chiffres, explique Manuel. Je vais toujours me sentir redevable quoiqu’il arrive ».
À ses côtés, se trouve Cécile Scotto, niçoise et éducatrice spécialisée de l’association ALC. Avec ténacité, elle fait le lien avec le trésor public et les banques pour essayer de régler la situation, échelonner les paiements, faire annuler des majorations sur des amendes anciennes.
Dans certains dossiers, les amendes majorées dépassent les 10 000 euros. Sans les majorations, cela pourrait être diminué parfois de moitié. « On a eu des jeunes avec des amendes à 1000 – 1200 euros et on est déjà monté jusqu’à 20 000 euros, dit Cécile Scotto. C’est une affaire d’argent »
Ces problèmes cumulés et les saisies sur salaires découragent parfois ces jeunes de trouver un emploi payé au SMIC. Interrogée sur ce phénomène, la mairie de Nice répond simplement proposer « des tarifs parmi les plus faibles pour une métropole française », avec « un abonnement à 180€ par an, pour les jeunes de moins de 26 ans ou les demandeurs d’emploi »
Une enquête de Daphné Gastaldi