1983-2023
La bande-son de la Marche
Tout au long du parcours, la Marche pour l’égalité et contre le racisme a été rythmée par la musique des années 80 et soutenue par des radios libres.
« Nous avons pleuré mais nous avons énormément chanté aussi », raconte Hanifa Taguelmint au micro, lors de la cérémonie pour les 40 ans de la Marche au palais du Pharo à Marseille le 15 octobre dernier. Après le discours de cette marcheuse et militante antiraciste, une chorale d’enfants de l’école de la Maurelette (15e) entonne « La chanson des enfants des quartiers Nord », que les Marseillais ont chanté à leur arrivée à Paris le 3 décembre 1983.
Toujours d’actualité, les paroles décrivent les discriminations raciales de l’époque. La chanson de Mehdi, une mélodie créée par un enfant de six ans lors d’un festival à Orléans en 1974, a été transmise par la musicienne Evelyne Girardon puis enrichie de paroles écrites par Daniel Beaume et les enfants du collège d’Albert Camus en 1983.
Le rappeur Soso Maness l’a chanté dans sa jeunesse et s’en est servi dernièrement dans son morceau Mistral. Si un mythe s’est forgé autour de cette chanson à Marseille, d’autres tubes ont marqué le parcours des militants qui ont traversé la France à pied.
« On écoutait du reggae, du Bob Marley surtout », se souvient Farid L’Haoua, un porte-parole de la Marche qui était sur scène pour Mediavivant. « On avait Radio Savate ! C’était un auto-radio dans l’estafette du cortège, on mettait des cassettes et ça sortait d’un haut-parleur », sourit-il.
Ondes libres
C’est l’époque des radios libres aussi, comme Radio Gazelle et Radio Canut, qui ont suivi cette mobilisation inédite. « On diffusait de la musique noire américaine James Brown, Percy Sledge ou Otis Redding. J’étais influencé par leur lutte aux Etats-Unis », se souvient Nsar Doghmane, animateur de Radio Gazelle à Marseille. Nsar Doghmane est originaire de la Cayolle, dans les quartiers Sud de Marseille, d’où est partie la Marche le 15 octobre 1983. Il a suivi le cortège jusqu’au centre-ville à moto pour baliser la route. Passionné de musique, il coanime à la radio une émission de rock au début des années 1980. « On passait beaucoup le groupe Police aussi », rajoute-t-il. Radio Gazelle, qui était alors une nouvelle radio multiculturelle, fut un outil médiatique pour faire connaître et soutenir la Marche de 1983, en diffusant des interviews de militants tout au long du parcours.
Le rock est un autre outil de contestation dans les années 1980. « Il y avait les chansons de Carte de séjour, la bande son de la marche », détaille Foued Nasri, docteur en sciences politiques qui a travaillé sur les mobilisations des héritiers de l’immigration. Carte de séjour est un groupe mythique mené par Rachid Taha, qui se produit au début pour les évènements de Zaâma d’banlieue, un collectif de militantes qui ont grandi dans des cités de transit ou des banlieues de la région lyonnaise et organise notamment des concerts de rock gratuits.
« C’est aussi une période autour de la musique noire américaine. Les jeunes sont baignés par la culture funk », complète le chercheur.
À l’arrivée de la Marche à Paris, Nsar Doghmane, lui, se souvient de « l’ambiance extraordinaire » et d’avoir fait connaissance avec le groupe Zebda, dont les musiciens vont acquérir par la suite une notoriété nationale et combattre le racisme jusqu’à nos jours.
Daphné Gastaldi