Transport maritime
Burn-out à la CMA CGM : « Je me disais que c’était de ma faute»
Jean* a travaillé près de trois ans à la tour CMA CGM. Il lui a fallu de long mois pour remonter la pente.
Six mois. C’est le temps que Jean (c’est un prénom d’emprunt) estime avoir mis pour «tourner la page de la CMA CGM», selon ses mots. Comme nous l’avons raconté dans notre enquête sur « La tour infernale » à Marseille, ce trentenaire au visage rond a passé près de trois ans au service des lignes maritimes du troisième armateur mondial, un peu avant la pandémie de Covid-19. Dont deux années pendant lesquelles il a subi une forme de harcèlement.
En discutant avec ce trentenaire au visage rond, il lui a fallu un an et demi « pour ne plus être en colère contre la CMA CGM ». Interviewé longuement, il se souvient de ses réactions violentes lorsqu’il lui arrivait de passer devant la tour. « Aujourd’hui, j’ai quasiment oublié la CMA, assure Jean. Je souris même quand je passe devant le siège, surtout quand il est tôt parce que je sais que ceux avec qui je bossais y sont encore jusqu’à 19h30-20h. »
Après une première expérience dans une entreprise pratiquant le même management toxique que la CMA CGM, ce logisticien a trouvé un poste hors de Marseille, dans une petite entreprise qui travaille à l’international. Coordinateur supply chain, il est en charge de l’approvisionnement en matières premières d’une usine. Le jour et la nuit avec son ancienne boîte dirigée par la famille Saadé. « Je peux télétravailler comme je veux, j’ai de vraies responsabilités. Mon salaire a pris plus de 30 % par rapport à la CMA CGM parce que mon expérience a été prise en compte. J’ai eu une augmentation la première année, et si c’est parfois dur, on reste dans le cadre professionnel et surtout dans un travail collaboratif, où on va t’encourager au lieu de t’enfoncer », détaille le trentenaire.
Management toxique
Tout le contraire de son expérience à la CMA CGM, où Jean a fini en dépression et comme un zombie. Ses problèmes ont commencé quand il a réclamé un CDI après un premier CDD pendant lequel il estimait avoir largement fait ses preuves. « Quand tu ne vas pas dans le sens de ton manager, ça cherche la petite bête partout et bien visible pour le reste de l’équipe. On cherche à te rabaisser, sur le physique, le job. C’était en permanence, constamment. Et une fois que tu es dans le collimateur, c’est difficile d’en sortir », se souvient le logisticien, qui perd quinze kilos en deux ans. Il se retrouve à vomir sur le chemin du travail ou le dos bloqué, à supporter des migraines. Son médecin le force à s’arrêter plusieurs fois.
C’est finalement la CMA CGM qui pousse le trentenaire à partir. Une fois de plus de manière violente. Alors qu’il postule sur un poste de manager, le troisième armateur mondial décide de recruter quelqu’un de l’extérieur et on lui demande, en plus, de le former. C’était pourtant au sortir d’une année exceptionnelle sur la ligne maritime de Jean. Après plusieurs arrêts maladie, ce dernier pose sa démission et ne remettra plus les pieds à la tour.
« J’ai ressassé pas mal. Je me disais que c’était de ma faute, je me demandais si j’avais fait le bon choix. Surtout que je n’avais pas immédiatement droit au chômage et que les confinements sont arrivés », poursuit le coordinateur logistique. Mais finalement, sa femme et son entourage plus que présents, un déménagement en bord de mer, du sport, le calme des confinements, les balades et un chien, lui ont permis de mettre de la distance avec la CMA CGM. « Je suis revenu à la vie », assure Jean.
Et d’insister : « Contrairement à ce qui se dit à la CMA CGM, ça n’est pas pareil ailleurs. On peut trouver mieux ! »
Jean-François Poupelin