Résistance et mémoire
Le fils du boulanger
A la lecture des «Imprudents», les souvenirs enfouis de la guerre ressurgissent.
Souvent la présentation du livre « Les Imprudents » libère des confidences. Dans les librairies, une femme ou un homme traîne un peu à la fin, attend que l’auteur soit seul, puis s’approche, pour délivrer un secret lié à la guerre. Un jour par exemple dans la Drôme, un très vieux monsieur venait d’acheter le livre et voulait le faire signer, mais c’était un prétexte pour parler. Une fois que les autres lecteurs se sont éloignés, il a tendu l’ouvrage, et a commencé à parler, d’une voix extrêmement émue, légèrement tremblante.
Son père était boulanger et il cachait deux résistants dans sa boulangerie. Un soir, on vient prévenir en hâte : les Allemands fouillent le quartier à la recherche de maquisards. Le père hésite puis fait entrer les deux hommes dans son four à pain. Ils rampent au fond et il les cache avec des fagots, puis effectivement on frappe à la porte. Il faut ouvrir, des policiers allemands entrent, rassemblent la famille dans la boulangerie, près du four, l’un d’eux les gardent pendant que les autres fouillent toute la maison, puis ils reviennent, interrogent longuement le père de famille. «J’étais à côté de mes parents, disait le vieil homme, et j’étais sûr que l’un des résistants allait éternuer dans le four plein de suie. Je savais qu’ils nous tueraient, ou qu’ils emporteraient mes parents.»
Dans la librairie, le vieil homme a marqué un silence puis il a ajouté : «Après la guerre, nous n’en avons jamais reparlé. C’était complètement enfoui. C’est la première fois que je reparle de cela».