1983-2023

Farid L’Haoua : «La marche était un cri de rage puis d’espérance»

Quarante ans après, Mediavivant a invité sur scène Farid L’Haoua, le porte-parole de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.

Publié le 19 Oct 2023

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Dernière mise à jour le  24 Oct 2023  à  10h53.

Le militant antiraciste a rejoint la Marche dès Valence en 1983. Crédits:Mediavivant/E.de Crécy
Le militant antiraciste a rejoint la Marche dès Valence en 1983. Crédits:Mediavivant/E.de Crécy

« On a une marée humaine à Paris et là, je tombe en panne de péloche !», trépigne encore Farid L’Haoua. Le 3 décembre 1983, le militant antiraciste de 25 ans doit se précipiter dans une boutique pour acheter des pellicules photos. Devant lui, une foule immense défile qu’il doit absolument immortaliser : plus de 100 000 manifestants sont présents à l’arrivée de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, pour accueillir les marcheurs qui ont traversé le pays pendant trois semaines.

Le départ s’est fait le 15 octobre dans les quartiers Sud et Nord de Marseille avec une trentaine de jeunes, dans un contexte marqué par les crimes racistes, les violences policières et la montée de l’extrême-droite. Les conflits entre les jeunes et la police secouent certaines cités. À 25 ans, Farid L’Haoua, membre de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés, décide de les rejoindre à Valence et devient rapidement leur porte-parole.

« La situation était très conflictuelle. On sortait de la guerre d’indépendance de l’Algérie ». Lui est né français en Algérie et a ensuite grandi dans un bidonville à l’Est de Vienne (Isère). Adolescent, il commençait déjà à subir les discriminations, à se faire « tapisser », c’est-à-dire ficher. «Photo du côté droit, puis photo du côté gauche. Comme dans les films», se souvient-il encore effaré. « Un inspecteur tenait nos fiches à jour dans une boîte d’archives. On se faisait contrôler pour des prétextes futiles ».

Quarante plus tard, les souvenirs sont toujours à vif, réanimés à chaque attaque raciste, à chaque violence policière dans l’actualité, comme on l’a vu en juin dernier avec les mouvements de révolte après la mort de Nahel, tué à bout portant par un policier lors d’une interpellation à Nanterre. Aujourd’hui, devenu éducateur dans une ludothèque à Lyon et salarié de la métropole pour la protection de la petite enfance, Farid L’Haoua continue à transmettre la mémoire de ces luttes.

« Marqué au fer rouge »

Sur plus de 1 200 kilomètres, la musique guide leur pas tout au long du parcours. Farid L’Haoua se souvient de Radio Savate, le surnom donné à l’auto-radio de l’estafette qui diffusait des morceaux par un haut-parleur au reste du cortège. « Du Bob Marley, surtout. C’était rastafari ! », raconte-t-il. Les radios Libres comme Radio Gazelle ou Radio Canut suivent le mouvement et documentent leur lutte, les débats qu’ils organisent à chaque étape.

De quoi les aider à tenir, surtout après le meurtre d’Habib Grimzi par trois légionnaires dans un train le 14 novembre 1983, qui a failli mettre un coup d’arrêt au mouvement. «Certains quittent la marche. C’est un moment de crise», souffle-t-il encore « marqué au fer rouge » par cet assassinat. Un électrochoc aussi au niveau politique. Des ministres et représentants de l’État, du monde de la culture ou de l’Église catholique rejoignent le mouvement antiraciste après ce drame qui a marqué la France.

Finalement, le 3 décembre, une délégation de marcheurs, dont Toumi Djaïdja, la figure qui a initié le mouvement après avoir survécu à la balle d’un policier aux Minguettes (Lyon), se retrouve face au président de la République socialiste, François Mitterrand. « C’était la consécration. On avait franchi tous les cercles du pouvoir », se souvient Farid L’Haoua qui a de son côté rencontré Pierre Bérégovoy, alors ministre des Affaires sociales et de la solidarité nationale. « La marche était un cri de rage puis d’espérance », rappelle t-il.

Malgré les promesses faites ce jour-là, le constat est encore amer quarante après, en ce qui concerne les violences policières et les discriminations sociales et raciales pour les jeunes des « quartiers populaires ». La Marche de 1983 reste la référence des mouvements non-violents en France. « Ce qui nous a reliés entre ces quartiers, c’est un destin commun. Nos parents avaient traversé des mers, souligne Farid L’Haoua. Une avenue portera bientôt le nom de la Marche à Marseille.

Daphné Gastaldi


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