1983-2023
Partie 2 : Un appel contre les ségrégations sociales
Dans cette deuxième partie, Farid L’Haoua, le porte-parole de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, raconte sur scène comment cette lutte pour les droits est devenue « une épopée » politique.
Les marcheurs de 1983 partagent un destin contraint dans les cités à Marseille, Lyon, Paris, ou ailleurs. Leur mouvement inédit, la marche pour l’égalité et contre le racisme, était une lutte non-violente contre les discriminations sociales et raciales. Rapidement les médias la surnomment « la marche des beurs », arabes en verlan. Au grand dam de certains militants qui regrettent ce terme car la marche est un appel universel et doit concerner tout le monde.
Malgré tous les préjugés, ces jeunes arriveront à rencontrer le président François Mitterrand le 3 décembre 1983, comme on peut le voir dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, partenaire de Mediavivant sur cet épisode.
En coulisses, Farid L’haoua, porte-parole de la Marche, a participé à bousculer l’agenda politique. À 25 ans, ce militant antiraciste était engagé dans des associations comme la Cimade, Zaâma d’banlieue ou la Fasti, la Fédération des associations de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés. Sa famille est arrivée d’Algérie dans les années 1960 et n’a eu d’autre choix que de s’installer dans un bidonville puis dans un HLM à Vienne (Isère). Adolescent, Farid L’Haoua raconte sur scène avoir été confronté à des policiers zélés qui fichaient les jeunes du quartier pour des prétextes futiles.
Parmi les revendications de ces jeunes : la carte de séjour pour tous, le droit de vote pour les étrangers et un mot d’ordre « halte aux tirs », et une demande pour que les crimes racistes soient mieux traités par la justice.
Farid l’Haoua ne faisait pas partie de la délégation reçue par François Mitterrand mais lui a rencontré Pierre Bérégovoy, alors ministre des Affaires sociales, à l’arrivée à Paris. Aujourd’hui devenu éducateur à Lyon et salarié de la métropole à la petite enfance, il est venu témoigner sur scène pour Mediavivant. Quarante après, le marcheur dresse un constat amer sur les violences policières et le racisme en France.
Point de bascule
Pendant la marche, il y a eu un point de bascule qui a changé l’histoire. L’affaire Habib Grimzi, un étudiant algérien défenestré du train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à la légion étrangère, le 14 novembre 1983. Tout aurait pu s’arrêter après ce drame qui a « marqué au fer rouge » les marcheurs. « Certains voulaient basculer de l’autre côté de la force, d’autres voulaient rentrer chez eux. Il a fallu resserrer les rangs, se souvient Farid L’Haoua. Un procureur de la République avait dit au JT “ J’ai honte d’être français ”. La mort d’Habib Grimzi est innommable et ça a décloisonné l’empathie, la visibilité de la Marche ».
Après l’étape de Strasbourg, la marche devient une démonstration politique pour les représentants des institutions. « Ça a été l’explosion : on a vu débouler Monseigneur Lustigier, Jack Lang, le ministre de la culture ou Edmond Maire [ le secrétaire général de la CFDT, ndlr ] », explique Farid L’Haoua.
La marche devient « une épopée ». S’il a accepté de témoigner pour les commémorations des quarante de la Marche, c’est pour « la transmission, la mémoire et l’Histoire ».
Après la marche, Farid L’Haoua a essayé de continuer le mouvement, notamment en participant aux Assises des jeunes issus de l’immigration vers Lyon l’année suivante. Mais le mouvement s’essouffle. Les commémorations aussi. Le combat doit évoluer face aux nouvelles formes de violences policières et de racisme.
Daphné Gastaldi