1983-2023

Partie 1 : «Halte aux tirs»

Pour les 40 ans de la marche pour l’égalité et contre le racisme, Mediavivant invite sur scène une témoin de l’histoire, Hanifa Taguelmint, qui poursuit ce combat.

Publié le 19 Oct 2023

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Dernière mise à jour le  27 Oct 2023  à  8h07.

Transcription 

Au début des années 80, sur les photos de manifestations, on voit des jeunes porter des baskets Adidas, des survêtements, des keffiehs pour certains. C’est l’époque du reggae, de la soul, du funk, du rock. On écoute Otis Redding, Police ou le groupe Carte de séjour mené par Rachid Taha.  Dans la mémoire collective d’alors, la marche sur Washington pour les droits civiques, et le discours “I have a dream “ de Martin Luther King en 1963 sont toujours dans les esprits.

À l’époque, le contexte est inflammable en France. Les crimes racistes et les violences policières marquent les années 70 et 80. Un pic est atteint en 1973 avec des ratonnades, des expéditions punitives, et des meurtres racistes visant essentiellement des personnes d’origine algérienne.  Des morts par balle, par noyade, tués avec des cocktails molotov ou des pierres. Les auteurs sont des « fachos » comme on dit, organisés en petites équipes, même parfois un voisin « ordinaire » qui sort son arme et shoote.

Cette année-là, on recense une cinquantaine de morts et des dizaines d’agressions. Le point culminant sera le 14 décembre 1973, quand un attentat vise directement le consulat d’Algérie à Marseille, causant quatre morts et une vingtaine de blessés, revendiqué par le groupuscule terroriste Charles Martel. Ces crimes sont restés le plus souvent impunis. Le caractère raciste de ces attaques a été enfoui. Le laxisme de la justice à cette époque est encore mis en cause.

À ce moment là, la France est dans un contexte post-colonial, après la guerre d’indépendance de l’Algérie. Le pays est encore marqué par le massacre du 17 octobre 1961 :  des dizaines d’Algériens tués à Paris par la police, certains jetés dans la Seine, alors qu’ils manifestent pacifiquement pour une Algérie algérienne et contre un couvre-feu qui leur était imposé.

Les violences racistes jusqu’à nos jours

Dès 1972, le Front national commence à se structurer, avec l’émergence de Jean-Marie le Pen qui va ensuite bouleverser la politique française jusqu’à aujourd’hui. Actuellement, l’extrême-droite compte 88 députés à l’Assemblée nationale. 

Le racisme et les violences policières sont toujours dénoncés. Nous l’avons vécu cet été encore après la mort de Nahel, 17 ans, tué à bout portant par un policier lors d’une interpellation à Nanterre. Le soir même a débuté un mouvement de révoltes d’une semaine partout en France. Cette révolte de 2023 a ravivé les souvenirs de 1983.

Il y a quarante ans, les tensions sont vives sur le territoire. Les habitants des cités se souviennent des rodéos de voiture volée d’un côté, et des ratonnades de l’autre. Les conflits entre les jeunes et la police secouent certains quartiers. La Marche a débuté après cette balle qui atteint un jeune à Lyon. La balle d’un policier qui tire sur Toumi Djaïdja, 19 ans, dans le quartier des Minguettes. 

Toumi Djaïdja va en réchapper. Épaulé par son association SOS Avenir Minguettes et notamment par une figure de l’église catholique, Christian Delorme, un curé qui défend les populations immigrées avec l’association La Cimade, Toumi devient la figure d’une grande marche pacifique, qui va traverser la France entre le 15 octobre et le 3 décembre 1983. Avec une trentaine de marcheurs, ils partent de Marseille. Au fur et à mesure des étapes, ils seront rejoints par d’autres manifestants qui vont grossir les rangs, faire quelques kilomètres en soutien avec eux. Jusqu’à devenir une foule immense à l’arrivée à Paris.

Marcher pour les morts 

À Marseille, le départ se fait symboliquement dans un quartier marqué par des attaques à la bombe en 1981 et 1983, considérées comme une conséquence du discours d’extrême-droite en pleine période électorale. Un enfant est mort suite à la bombe de 1983. Il s’agit du quartier de la Cayolle, et ses cités habitées par des familles algériennes, tunisiennes, gitanes ou espagnoles.

Le jour J, les médias n’y prêtent guère attention. Un photographe s’y rend, un seul, Pierre Ciot, connu dans les milieux militants antiracistes. Il immortalise la scène avec cette image… 

Départ de la Marche pour l'égalité et contre le racisme, le 15 octobre 1983. La Cayolle, Marseille. © Pierre Ciot / Divergence images
Départ de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, le 15 octobre 1983. La Cayolle, Marseille. © Pierre Ciot / Divergence images

Sa photo est unique, historique.  Une poignée de jeunes, partie du quartier de la Cayolle au pied du parc des calanques, dans les quartiers Sud se dirigent vers Marseille, leur première étape. On peut lire un slogan choc sur les banderoles : « Français, vous êtes en danger de racisme » 

Pierre Ciot devra convaincre l’Agence France Presse, pour qui il travaille, que cette marche est d’une importance cruciale. Qui peut soupçonner alors qu’ils seront 100 000 manifestants à l’arrivée ? Que le président d’alors, le socialiste François Mitterrand recevra même une délégation ?

France 3 Provence Méditerranée s’en fait l’écho par la suite dans cette vidéo.

Dans le reportage, on voit une jeune femme qui demande à « vivre, c’est tout », c’est Hanifa Taguelmint. Sur scène à Mediavivant, elle raconte cet appel universel pour l’égalité et la fin des crimes racistes.

Hanifa Taguelmint fait partie du collectif Mémoires en marche.  Elle est née française en Algérie et a grandi dans les quartiers Nord à Marseille. En 1983, elle a la vingtaine et aide à organiser la Marche et l’arrivée à Paris.  Par la suite, elle a travaillé dans les centres sociaux, sur la résorption des bidonvilles à Marseille et même pour une fondation contre l’exclusion.

« C’est ma naissance en tant que militante »

Le combat contre les violences racistes et policières a commencé plus tôt, avant la marche, le 18 octobre 1980, quand un jeune, Lahouari Ben Mohamed, a été tué à la cité des Flamants, à bout portant par un policier.  « On voyait les problèmes aux JT. Là, ça se passait en bas de chez moi. On était tous perdus le lendemain. Que pouvions-nous faire ? On s’est retrouvé aux Flamants, devant le bloc où habitait Lahouari. Il y avait une émotion telle…C’était toute une cité totalement perdue », témoigne Hanifa Taguelmint sur scène. «On m’a tendu un mégaphone et demandé de parler à la mère au balcon. Ça m’a marqué, réellement. C’est ma naissance en tant que militante. Ce n’était plus possible, plus entendable tout ça».

La famille d’Hanifa Taguelmint a également été victime des violences racistes et policières. Le 21 février 1981, son petit frère, Zahir, est abattu par un voisin. Il était avec trois amis dans une voiture abandonnée à la Busserine. L’homme a tiré et son frère est tombé. Il avait 17 ans. En 2013, sa famille est encore touchée : son neveu est tué par un policier dans un commerce.  La marche est un combat quotidien depuis, pas seulement une commémoration. Un des slogans pendant la marche était: « Rengainez vos armes ». « On avait fini par comprendre même les armes, ce qu’était un 22 long rifle, un Mas, une mitraillette. On en était arrivé là. On est dans un pays en paix et nous, on vivait en guerre. On était en marge de la société », dénonce-t-elle.

La Marche de 1983 a permis de fédérer des militants, d’offrir une visibilité, un symbole. Pour les marcheurs marseillais, une mélodie les relie encore : « la chanson des enfants des quartiers Nord ». Ce morceau a été écrit avec les collégiens d’Albert Camus à Marseille, avec leur enseignant et auteur des paroles Daniel Beaume, à partir d’une musique de Mehdi, transmise par Evelyne Girardon. Les paroles décrivent leur vie dans les cités et les ségrégations sociales.

À la fin de ce Mediavivant, pendant le débat, la salle entonnera même le refrain « Nous sommes les enfants des quartiers Nord, et, à pied, ça fait loin jusqu’au Vieux port ».

Dans la deuxième partie à paraître le jeudi 26 octobre, Farid L’Haoua, porte-parole de la Marche, raconte comment ces jeunes ont réussi à rencontrer le président de la République et quel impact a encore la Marche aujourd’hui.

Daphné Gastaldi


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