Dans les coulisses
Quand le public complète l’enquête
Mediavivant se joue en deux temps : après les révélations sur scène, le public participe. Le 14 septembre, l’enquête « Les femmes discriminées par la médecine » a suscité de nombreuses réactions.
Une cinquantaine de personnes, majoritairement des femmes, discute devant une porte cochère dans le centre-ville de Marseille, bière ou citronnade dans une main. « Le premier témoignage m’a bouleversé », « j’ai aussi une amie qui a attendu plusieurs années avant qu’on lui dise qu’elle avait l’endométriose », « Tu as entendu la journaliste : 1 milliard pour la recherche sur le diabète aux États-Unis, 7 millions seulement pour l’endométriose » et « le patriarcat… ».
Nous ne sommes pas à l’entrée d’un bar ou d’une salle de concert mais au tiers-lieu, La Fabulerie, où vient se dérouler, comme tous les seconds jeudi du mois, une enquête sur scène. C’est le temps de l’entracte, le moment du débrief. Cinq minutes auparavant, durant une heure, la journaliste Margaïd Quioc a expliqué et analysé une injustice : les femmes sont toujours moins bien soignées que les hommes.
La salle se remplit de nouveau. La seconde partie va démarrer. C’est le temps de l’échange. La prise de parole est libre. Samuel Wahl qui anime l’échange, Margaïd Quioc la journaliste et les intervenants sont assis dans la salle face aux spectateurs. Yazid Attalah, le président de l’association Sept qui a pour objectif de réduire les inégalités en matière d’accès à la santé, Sidonie Canetto, souffrant d’endométriose, Ouardia Tihilt et Farida Elhmoudi qui ont grandi dans le bidonville de l’Estaque, se prêtent au jeu. Le public peut échanger avec les sources de l’information.
La précarité des femmes au centre des échanges
Il y a d’abord l’envie de connaître les coulisses de l’enquête adressée à la journaliste : « Pourquoi avoir décidé de traiter ce sujet ? », « pourquoi ne pas avoir pris la santé sous l’angle de la psychologie ? »… Puis les questions se déplacent vers les intervenantes qui sont montées sur scène. Elles se sentent écoutées. Leur vécu a enfin une valeur. Farida et Ouardia expliquent s’être consacrées à leurs familles, quitte à laisser leur propre santé au second plan. « Les femmes, c’est tout pour elles. Les hommes, ils font leur huit heures et après c’est terminé. Pour les femmes, ça continue jusqu’à 23h ! », raconte Ouardia Tihilt.
Comme l’a rappelé sur scène Margaïd Quioc « la pauvreté est le plus gros frein à une vie en bonne santé.» Or, 75% des travailleurs précaires sont pauvres. Yazid Attalah, le président de l’association Sept souligne les discriminations territoriales à Marseille, le manque de transports, de personnels soignants. « Dans le 15e et 16e arrondissement, il y a un cabinet de radiologie pour 110 000 habitants. Nous sommes dans un désert médical. »
Le public interroge et apporte lui-même des informations supplémentaires. Dans la salle, une chercheuse du Giscop (Le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle) explique avoir participé à l’élaboration d’un rapport concernant les maladies professionnelles des femmes. Ces dernières sont surreprésentées dans les activités de soins ou de nettoyage où elles sont exposées à des polluants organiques.
Sans ce temps d’échange l’enquête sur scène serait incomplète. Quand les lumières s’éteignent, que la porte cochère se referme, la journaliste a de nouveaux fils à remonter, d’autres angles à fouiller. Avec Mediavivant, l’info s’écrit aussi avec son public.
Jean-Baptiste Mouttet, directeur de publication