Transmission

Informer en étant enfermé

Durant une semaine, Mediavivant et Urban Prod ont donné des ateliers d’éducation populaire à l’information dans le Centre éducatif fermé de Brignoles. Les jeunes ont réalisé une enquête sur scène.

Publié le 31 Oct 2023

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Dernière mise à jour le  26 Jan 2024  à  15h45.

Les jeunes du CEF apprennent à mener une interview. Crédits: JB.Mouttet
Les jeunes du CEF apprennent à mener une interview. Crédits: JB.Mouttet

Un large sourire se dessine sur le visage de Max*, 16 ans. Il accueille les applaudissements de ses camarades et de la direction venus assister à l’enquête sur scène dans le réfectoire. C’est le sourire de la victoire. Cinq jours auparavant ce même jeune aux cheveux longs, plongeait la tête dans ses bras à l’annonce du programme: aller chercher et vérifier l’information comme tout journaliste. « On ne peut pas filmer un truc plutôt ? », lâchait-il d’un ton provocateur.

Du 23 au 27 octobre, Mediavivant et l’association socio-culturelle marseillaise Urban prod ont mené des ateliers d’éducation populaire à l’information au Centre éducatif fermé (CEF) de Brignoles (Var). Une première pour Mediavivant, jusqu’à maintenant plus habitué à s’adresser à des collégiens et des lycéens. Les quatre jeunes présents ont été placés au CEF généralement imposé  dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mis à l’épreuve ou d’une libération conditionnelle. Ils sont sous la surveillance permanente des éducateurs. Trois d’entre eux sont passés par la détention.

Le premier jour, nous sommes confrontés à des réticences. Il faut gagner la confiance et raconter en détails notre parcours de journalistes. Bénédicte Magnier, de l’association socio-culturelle Urban Prod, sait profiter des moments d’interaction pour écouter et ainsi délier la parole. L’objectif des participants est de mener une enquête et de la restituer face au public comme toute enquête sur scène de Mediavivant. Le choix du sujet se heurte aux portails sécurisés du CEF. Alors qu’un journaliste est en déplacement constant d’un monde à un autre, les quatre jeunes devront enquêter depuis où ils se trouvent et trouver les témoignages sur place. L’accès à Internet, et donc à la documentation, se fait via notre ordinateur et une connexion partagée aléatoire.

 La peur de l’échec

Les adolescents sont de nouveaux arrivants qui n’appréhendent pas encore complètement le monde qui les entoure. Peu de monde sait ce qui se passe derrière les murs du CEF. À eux de le décrire. Ils mèneront des entretiens avec le personnel du centre. 

Les outils de l'apprenti journaliste qui mène l'enquête sur scène: la conduite, un micro et un enregistreur. Crédits: JB Mouttet
Les outils de l’apprenti journaliste qui mène l’enquête sur scène: la conduite, un micro et un enregistreur. Crédits: JB Mouttet

Oser poser des questions et se sentir légitime à le faire ne va pas toujours de soi. «Ces jeunes ont bien souvent peur de l’échec. Ils préfèrent alors opter pour la provocation ou le renfermement plutôt que d’avouer qu’ils ont peur», explique Camille Crespo, coordinateur de projets à Urban Prod. La difficulté est double pour les participants : oser interpeller et parvenir à restituer une enquête devant un public qui pourrait potentiellement les juger.

Peu à peu la transformation s’opère. Cet ado, mains plantées dans les poches de son blouson, mine fermée le premier jour, se transforme en journaliste hors-pair. Ces questions sont ouvertes, il ne se satisfait pas d’un “oui” ou d’un “non” pour toute réponse et demande d’expliquer les termes techniques. Son attitude aussi a changé. Le micro est tenu fermement, il ne baisse plus la tête et prend la place qui lui est due.

Au fil des entretiens auprès du personnel, le CEF prend du relief. L’article s’adresse aux personnes qui ne connaissent pas l’établissement. Franck Nicolaïdès, professeur technique explique ainsi son rôle : « Je fais principalement de l’horticulture, de la maçonnerie, de la plomberie, un peu d’électricité, de la mécanique. Les compétences qu’ils arrivent à acquérir là, ils peuvent les transférer n’importe où ailleurs. » Les adolescents rebondissent : « Pourquoi ne pas enseigner une seule filière ? », « Je risquerais de mettre en difficulté les jeunes. Le but est qu’ils réussissent et qu’ils partent le plus rapidement possible. Le CEF ce n’est pas une fin, c’est un passage. »

Les jeunes mettent des mots sur ce qu’ils peuvent ressentir comme des injustices. « À quoi peut servir une obligation de soins ? », demandent-ils à la psychologue Clara de Saint Léger. Une nouvelle relation s’établit : c’est à eux de poser les questions et non plus l’inverse. Les interlocuteurs se dévoilent et se montrent aussi sous un autre jour. Interrogée sur le poids des confidences qui lui sont faites, la psychologue confie que «les psychologues ont la particularité d’aller voir des psychologues. On réfléchit aux situations qui peuvent nous peser.» Franck Nicolaïdès raconte qu’il a beaucoup appris auprès des pensionnaires. Ils « viennent vous bousculer, vous interroger sur les choses un peu complexes de la vie. »

Ce jour 27 octobre, lors de la restitution, ils n’étaient plus « les gamins du CEF », ou des « délinquants » comme on peut les qualifier à l’extérieur. Ils sont des journalistes qui ont raconté la vie au Centre éducatif fermé.

Jean-Baptiste Mouttet

* L’identité des pensionnaires du CEF ne peut pas être mentionnée.


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