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Lever de rideau au Lycée Saint-Charles

Après quatre mois d’ateliers, les lycéens de Saint-Charles à Marseille ont présenté sur scène leur enquête « Les profiteurs de l’exil », avec Mediavivant.

Publié le 15 Fév 2024

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Dernière mise à jour le  27 Fév 2024  à  17h28.

Mediavivant au lycée Saint-Charles, le 12 février 2024. Crédit : DR
Mediavivant au lycée Saint-Charles, le 12 février 2024. Crédit : DR

« Nos sociétés sont très dépendantes des populations exilées. Ce sont elles qui occupent ces métiers de seconde ligne, pénibles et mal payés, commence une lycéenne sur scène. Elles participent également à notre croissance économique, payent des impôts. Sans oublier leurs apports dans la vie culturelle, politique et associative. » Il est 19h15 ce lundi 12 février quand Eline scande d’une voix claire et sûre la dernière phrase de l’enquête sur la scène sur « Les profiteurs de l’exil » de la terminale 4 du Lycée Saint-Charles (1er arrondissement), à Marseille. Puis, avec Lina, Achille, Jérémy, Léon, Marcello, Mohamed, Neil et Noham, ils saluent parents et camarades venus les écouter sous le regard de Nancy Robert, la comédienne qui les accompagnés pour poser leur voix et se placer face au public.

Quatre mois après le début, c’est donc le lever de rideau sur ce projet d’éducation populaire à l’information de Mediavivant dans cet établissement de la seconde ville de France. Quatre mois pendant lesquels les 35 élèves de Stéphane Rio, enseignant d’histoire-géographie,  se sont initiés à la fabrication de l’information, à la déontologie et à l’écriture journalistique. Quatre mois pendant lesquels la classe a aussi fonctionné comme une rédaction et enquêté sur « Les profiteurs de l’exil ». Une sujet en lien avec leur cours « Mers et océans au cœur de la mondialisation »,choisi par une large majorité des élèves.

Des profiteurs très légaux

Au-delà des passeurs, les mafias ou individus peu scrupuleux, comme les marchands de sommeil, la classe s’est intéressée aux profiteurs bien légaux : les entreprises qui emploient des sans-papiers, les multinationales de la défense et du social qui bénéficient des marchés de surveillance des frontières de l’Europe ou de la gestion des demandeurs d’asile. Des marchés qui se chiffrent en centaines de millions d’euros chaque année.

Pour illustrer leur enquête, les élèves ont interviewé Gérald et Karamba. Respectivement Albanais et Guinéen, tous les deux sont arrivés en France en 2017. Le premier avait 16 ans et finit aujourd’hui des études ; le second avait 20 ans, il a désormais un titre de séjour de 10 ans, une famille et travaille comme électricien. Le 12 février, ils ont témoigné face au public de leur exploitation à leur arrivée en France. C’est Jérémy qui a réalisé l’interview. Voilà ce que Karamba a raconté :

« On n’avait pas le choix. Il faut survivre, il faut manger, payer un loyer. On est prêt à faire tout pour gagner sa vie, pour ne pas être dehors à quémander. Dans un premier temps, j’ai pris tout ce que j’ai trouvé. J’ai travaillé dans le BTP grâce à un Guinéen que je connaissais. Je n’avais pas d’expérience, alors j’étais manœuvre. Je devais apporter les carreaux en béton et parfois, il y avait des chantiers où il fallait monter deux ou trois étages par les escaliers. On était rémunéré en fonction du nombre de jours travaillé. J’étais payé 70 euros par jour. Ça pouvait être de 8h à 17h ou 18h. J’étais là tant qu’eux en avait besoin. » Les retards de salaires étaient courants.

Karamba a témoigné devant les parents et élèves au lycée Saint-Charles. Marseille, 12 février 2024. Crédit : Mediavivant

L’Europe crée un « cycle infernal de violence »

Pour aborder les marchés de la surveillance aux frontières de l’Union européenne dont bénéficient les multinationales de la défense, les lycéens ont cherché à joindre des spécialistes du sujet. Sans réponse de leur part, ils se sont tournés vers SOS Méditerranée, qui réalise des sauvetages en mer. Noham a interviewé Marine Thomas lors de la représentation. La jeune femme est chargée du plaidoyer pour l’association. L’objectif était d’obtenir des informations sur les moyens et les politiques déployés par l’Europe en Méditerranée. Mais aussi sur leurs conséquences. Marine Thomas a notamment insisté sur le vécu terrible des exilés depuis que l’Union européenne délègue à des pays tiers, comme la Libye, la gestion de ses frontières :

« Ce dont on est témoin aujourd’hui, c’est que des personnes qui tentent la traversée vont être interceptées en mer par des gardes-côtes libyens, elles vont être ramenées en Libye, mises en détention, extorquées de tout ce qu’elles ont. Ils vont leur voler leurs affaires, leur téléphone, leur argent, les faire potentiellement travailler gratuitement, les torturer en appelant la famille pour que les familles versent de l’argent pour que les personnes puissent être libérées. Les personnes sont libérées ou s’échappent, elles retentent la traversée, elles sont interceptées et ramenée en Libye […] Alors que l’Union européenne dans l’ensemble de ses programmes et de ses plans d’action va chercher à lutter contre le trafic d’êtres humains, ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que la conséquence directe de ses actions pour renforcer les capacités en Libye, c’est un cycle infernal de violence. »

Marine Thomas de SOS Méditerranée a expliqué les actions de sauvetage aux lycées de Saint-Charles. Marseille, 12 février 2024. Crédit : Mediavivant

En bons journalistes, les élèves ont également joint des acteurs mis en cause pour leur point de vue sur le sujet. La représentation française de la commission européenne et le Groupe SOS, une des principaux bénéficiaires des appels d’offre pour l’hébergement et l’accompagnement des demandeurs d’asile, nous ont répondu. Leurs réponses ont été projetées le 12 février.

Interrogé sur le fait que le groupe SOS est devenu un des principaux bénéficiaires des financements de l’Etat pour l’hébergement et l’accompagnement des demandeurs d’asile, avec Forum Réfugiés, le groupe a fait notamment cette réponse : 

« Face à l’augmentation des flux migratoires et de la demande d’asile, la Direction Générale des Étrangers en France a augmenté les capacités d’hébergement. De nombreux opérateurs associatifs ont répondu présents, dont le Groupe SOS. D’une manière générale, tous les opérateurs du secteur Asile et Intégration ont augmenté leur nombre de places d’hébergement. L’objectif était d’éviter la constitution et la reconstitution de campements.»

La représentation française de la Commission européenne a également accepté d’envoyer des réponses aux lycéens pour expliquer son rôle, le Pacte sur la migration et l’asile, le Fonds « Asile, migration et intégration » ou les financements de Frontex. Elle rappelle le rôle de l’agence, créée en 2004 et basée à Varsovie, disposant d’un budget de plus de 845 millions d’euros : 

« Des centaines d’agents participent à des opérations aux frontières extérieures de l’Union européenne et au-delà. Frontex garantit la sûreté et le bon fonctionnement des frontières extérieures en assurant la sécurité. Il s’agit de la plus importante agence de l’UE et celle dont la croissance est la plus rapide. »

Si Eline, Lina, Achille, Jérémy, Léon, Marcello, Mohamed, Neil, Noham et leurs camarades de la « T4 » sont désormais tous tournés vers leur baccalauréat, ils restent marqués par les moyens mis en place pour le contrôle aux frontières comme le dispositif Frontex. Ils n’oublieront pas les témoignages de Karamba ou SOS Méditerranée sur l’exploitation des demandeurs d’asile.

Jean-François Poupelin


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