Immigration
La difficile scolarité des élèves étrangers racontée sur scène
Après six mois d’ateliers, des lycéens marseillais ont présenté sur scène leur enquête: « L’école en échec scolaire avec les élèves étrangers ? », avec Mediavivant.

« Au sortir de la Seconde guerre mondiale, la France doit reconstruire le pays. Mais elle fait face à une pénurie de main-d’œuvre. Elle se tourne alors vers l’immigration en provenance des anciennes colonies et particulièrement du Maghreb. » Il est près de 13h ce vendredi 23 mai lorsque Zelal attaque les premières phrases de « L’école en échec scolaire avec les élèves étrangers ? », l’enquête sur scène réalisée par sa classe de STMG2 du lycée Saint-Charles à Marseille.
Malgré un retard de 45 minutes dû à des problème de son, la voix de la jeune femme monte clairement dans la salle polyvalente de l’établissement de centre-ville. La petite centaine d’élèves, d’enseignant.es, de personnels de la direction et de l’administration ne l’impressionne pas plus. Elle est bientôt suivie de Salsabil, Samy, Katreena, Marwan, Idriss, Nihal, Zakaria et Rose, sous le regard attentif de Nancy Robert, la comédienne qui les a accompagnés pour poser leurs voix et appréhender la scène.
Six mois après le premier atelier, c’est donc le lever de rideau sur ce projet d’éducation populaire à l’information que Mediavivant a mené dans le lycée général et technologique du 1er arrondissement de la cité phocéenne. Six mois pendant lesquels la trentaine d’élèves de David Le Boulch, enseignant d’histoire-géographie, s’est initiée à la fabrication de l’information, au maniement de matériel professionnel (enregistreurs et appareils photos), à la préparation et à réalisation d’interviews, à la déontologie et à l’écriture journalistique.
Rédaction éphémère
La classe a fonctionné comme une rédaction et enquêté sur le rôle de l’école dans l’intégration des enfants issus de l’immigration. « On sait […] que beaucoup de parents immigrés surinvestissent l’école pour leurs enfants en ayant conscience que c’est la voie royale pour réussir socialement », a expliqué Samia Chabani, sociologue de formation et fondatrice d’Ancrages, une association qui travaille à mettre en avant les Marseillai.ses issu.es de l’immigration.

Les élèves se sont également appuyé.es sur « Trajectoires et origines », une étude de l’Institut national des études démographiques (Ined) et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) de 2016. Celle-ci montre que les résultats au baccalauréat des enfants d’immigrés sont très proches des résultats du groupe majoritaire, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas issues de l’immigration. L’étude note même que certaines filles réussissent mieux. 80% des filles d’origine chinoise obtiennent leur bac contre 65% de celles du groupe majoritaire.
En interrogeant des sources à leur disposition dans l’établissement – proviseur, assistants d’éducation, conseillère principale d’éducation, enseignant.es -, la classe a finalement recentré l’angle de l’article sur les enfants arrivés récemment en France. Plusieurs élèves ont eux-mêmes connu un parcours de migration et le lycée possède une classe UPE2A, pour Unité pédagogique des élèves allophones arrivants. Pendant la représentation, Katreena a expliqué que ce dispositif sert à les intégrer pleinement dans le système scolaire et à leur apprendre la langue française, avec un accompagnement adapté au niveau de chacun.
Moyens défaillants
Mais ça n’est pas toujours suffisant, comme l’a reconnu Cécile Exbrayat, l’enseignante de la classe UPE2A du lycée. « Ça fonctionne si on s’en donne politiquement les moyens, avec des vrais dispositifs au sein des lycées dans lesquels on permet aux élèves d’apprendre le français, si on leur donne le temps d’apprendre la langue et progressivement on les inclut dans les différentes matières de leur classe », explique cette professeure de français langue étrangère.
Ce qui n’est finalement pas le cas. Si le dispositif se déploie, il n’est pas présent dans tous les établissements a expliqué Hervé Massart, le proviseur de Saint-Charles. Surtout, l’accompagnement est court : une année scolaire au maximum. Résultat, beaucoup d’élèves allophones quittent la classe UPE2A sans maîtriser suffisamment la langue.
C’est ce qu’a vécu Barine. Cette jeune kurde originaire de Kobané en Syrie est arrivée en France en 2019. Elle est en terminale et est l’aînée de sa fratrie. Elle a été interviewée à la fin de la représentation par Nihal et Zakaria en compagnie Jean Kayser du réseau éducation sans frontière, un collectif de citoyens qui accompagne des jeunes migrants et leurs familles dans leur parcours d’intégration, notamment pour leur scolarisation. Barine a raconté qu’elle prend des cours particuliers de français pour améliorer sa compréhension des cours et des textes, en particulier en vue du bac.
Pression constante
La jeune femme a également témoigné de son rôle particulier au sein de sa famille en tant qu’aînée. Elle assure le suivi des dossiers administratifs, la traduction pour ses parents… Une pression qui l’accompagne tout le temps. Cette situation est assez courante pour ces jeunes, qui doivent finalement faire plus d’efforts que leurs camarades pour réussir.
Parfois, certains sont aussi obligés de travailler en parallèle de leur scolarité pour aider leurs familles. Cette année, c’est le cas de deux élèves de la classe de STMG2, Iljarda et Kaan Can. Comme beaucoup de jeunes confrontés à cette obligation, ils ont dû arrêter leurs études en cours d’année.
Des situations face auxquelles les enseignant.es et l’administration sont démunies. C’est ce qu’a relevé Pauline Belin, conseillère principale d’éducation au lycée Saint-Charles : « À Saint-Charles, on n’a pas d’assistante sociale. Mais le social, c’est pas que des problèmes de ressources, c’est aussi des problèmes administratifs. Et nous, on n’est ni formé, ni informé pour aider les gens sur des problèmes administratifs. On accueille des problématiques qui dépassent complètement les missions premières de l’école. »
Et les injustices qui vont avec. Tournée vers ses épreuves du bac comme tous ses camarades de la STMG2, Youssra regrette qu’Iljarda ait stoppé le lycée : « L’année dernière, elle était carrément meilleure que moi dans certaines matières. »
Jean-François Poupelin