En coulisse
Deux comédiennes à Mediavivant
La rencontre entre le journalisme et le théâtre est le résultat du travail de deux comédiennes et metteuses en scène. Nancy Robert et Aude Ollier ont chaque mois la difficile mission d’entraîner les journalistes à la scène.
Sans prévenir, la metteuse en scène Nancy Robert donne un léger coup d’épaule alors que les journalistes récitent leur article. Ils perdent invariablement l’équilibre et leur texte. « Tu vois que tu n’es pas bien ancré. Imagine tes pieds enracinés », lance-t-elle, en souriant, sûre de l’effet de sa technique. La plupart des personnes qui ont réalisé une enquête sur scène pour Mediavivant ont expérimenté cet exercice. Durant au moins trois séances de deux heures, elles sont passées entre les mains des comédiennes Nancy Robert à Marseille ou Aude Ollier à Paris.
Les enquêtes sur scène ne sont pas des pièces de théâtre. Les journalistes qui donneront leur article face au public n’ont pas la prétention de devenir comédiens en quelques séances. Pourtant, cet article, il faut le dire face à une centaine de personnes, capter leur attention et la conserver durant une heure, sans hésiter, sans trébucher. Être sur scène s’apprend.
Durant ces six heures, c’est le journalisme et le théâtre qui se rencontrent. Lors des répétitions, Aude commence toujours par demander aux reporters de parler de leur enquête. « Il y a alors comme une flamme qui s’allume. C’est cette flamme que l’on doit parvenir à transmettre ». Les prétendants à la scène lisent d’abord leur article à voix haute. « C’est lors de cette lecture que je vois ce qu’il faut casser », note Nancy. Est-ce trop scolaire, avec un point à la fin de chaque phrase ? Trop récité ? Est-ce que la gestuelle parasite le discours ? « Ils ont tous des défauts et des qualités différentes. J’adapte mes exercices en fonction ». Une voix qui ne porte pas assez et Nancy demandera de « parler à [s]a main ». Plus la main s’éloigne du visage des journalistes, plus la voix de ces derniers doivent porter. Ils sont trop dans le contrôle ? Ils diront leur texte en marchant à vive allure : « ils s’épuisent et sont moins dans la maîtrise. Ils sont plus sincères. »
Déconstruire pour donner son article
Le plus souvent, les journalistes se prêtent au jeu. Mais cet accompagnement passe parfois par un travail de « déconstruction ». « Ils ont l’habitude d’aller vite, de faire et passer à autre chose, alors qu’au théâtre le travail est long et fastidieux », explique Aude. Les journalistes doivent perdre leur éventuel ton de télé ou radio, apprendre à timbrer, accepter ces exercices incongrus et vivre une expérience encore inconnue.
Il peut exister une certaine « défiance » selon Aude. Les journalistes n’ont l’habitude d’être corrigé que par leurs pairs. Les comédiennes ne modifient ni le fond, ni le sens de l’article, mais elles soulignent les passages du texte trop longs, suggèrent des parties à couper, transformer, et proposent une mise en scène légère. « Ils peuvent parfois me considérer comme trop intrusive. Ils ont longtemps travaillé leur enquête. Pour eux, et c’est légitime, l’enquête leur appartient », souligne Aude.
En dehors de Mediavivant, Aude Ollier est la metteuse en scène de « Gretel et Hansel » de Suzanne Lebeau qui sera joué à l’Essaïon (Paris), à partir du 1er février. À la tête du Studio Théâtre, Nancy Robert a mené le collectif Lignes du désordre qui a écrit et mis en scène « Scandale », une satire de la presse à sensation. La pièce sera jouée le 8 décembre au studio.
Présente dès le début, Nancy a participé à la construction du concept de Mediavivant. C’est elle qui a mis en scène le premier article vivant « Marseille 1943 : Autopsie d’un crime contre les quartiers populaires » en 2020 alors que l’enquête sur scène n’existait pas encore. Les principaux ingrédients de cet essai sont restés. Nous retrouvons aujourd’hui le même jeu de lumières, les principaux déplacements du journaliste ou cette table de bistrot pour accueillir les intervenants.
Son moment magique, c’est « quand les journaliste s’oublient complètement, après six heures de répétition, et donnent leur article sans retenue au public. »
Jean-Baptiste Mouttet