50 ans de féminisme

Partie 2 : Dégenrer les espaces de loisirs

D’un café à un stade de foot, des initiatives permettent aux femmes de prendre leur place dans l’espace public. L’adjointe au maire de Marseille, Sophie Roques, explique les initiatives de la municipalité.

Publié le 21 Fév 2024

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Dernière mise à jour le  29 Fév 2024  à  13h20.

Revenons donc à notre ville féministe imaginaire. Maintenant qu’on peut aller d’un endroit A à un endroit B sans avoir peur, où allons-nous ? 

Car, rendons-nous à l’évidence, les hommes ont plus de légitimité́ à s’installer dans l’espace public. Ce qui se traduit par une appropriation masculine des lieux dédiés à la flânerie ou aux loisirs. C’est en tout cas ce que montre le rapport de 2021 sur la situation de la métropole Aix-Marseille-Provence en matière d’égalité homme-femme : les femmes se déplacent plutôt pour accompagner les enfants et les personnes à charge du foyer. Les hommes eux se déplacent majoritairement pour aller au travail ou à des loisirs. 

Montons maintenant jusqu’à la cité du Plan d’Aou, située dans le quartier Saint-Antoine, au nord de Marseille, dans le 15ème arrondissement. D’ici, on peut voir toute la rade. Au milieu des immeubles, peu de femmes. Mais si on marche quelques mètres, on aperçoit un lieu à la devanture colorée : c’est le Café des femmes. À l’origine de ce projet, la lumineuse Souad Boukhechba et son association “Les femmes du Plan d’Aou”, créée en 1998. 

Figure du Plan d’Aou à Marseille, Souad Boukhechba raconte son combat pour les femmes de son quartier. Crédit : M. Mazellier Graphisme : E. de Crécy
Figure du Plan d’Aou à Marseille, Souad Boukhechba raconte son combat pour les femmes de son quartier. Crédit : M. Mazellier Graphisme : E. de Crécy

Dans son dernier livre, La puissance des mères, la sociologue Fatima Ouassak développe le concept de mère-dragon. Contrairement au concept de mère-tampon qui assigne les femmes à leur rôle de mère et à la sphère privée, la mère-dragon sort de chez elle, se positionne dans l’espace public, y prend sa place, se libère et s’organise collectivement. Elle devient un sujet politique dont il faut prendre compte. Souad Boukhechba, en est un bon exemple. 

En 1997, enceinte de son troisième enfant, elle quitte un mari violent et retourne vivre au Plan d’Aou où elle est née et a grandi. Là-bas, Souad réalise qu’il y a de nombreuses femmes dans sa situation. Des mères célibataires isolées qui peinent à joindre les deux bouts et dont les enfants sont confrontés aux réseaux de trafic de drogue mais aussi aux violences policières. Un an plus tard, elle crée l’association “Les femmes du plan d’Aou en action” avec une vingtaine d’habitantes. Si au départ le but de l’association est de fournir une aide alimentaire aux femmes en situation précaire, elle est surtout un moyen pour ces dernières de s’émanciper. Groupe de parole, sorties et séjours entre femmes, activités dans l’espace public… Entre 2000 et 2010, plusieurs associations et amicales de femmes naissent de cet élan dans différents quartiers populaires de la ville. 

La FFF désemparée face à une équipe transféministe

Mais si Souad a réussi à rendre le café aux femmes de son quartier et ailleurs, d’autres lieux de sociabilité manquent encore de mixité. Prenons les équipements sportifs en accès libre par exemple qui occupent une grande partie de la ville. À l’image de l’espace public en général, les city-stades, skate-parks et autres aires de musculation en plein air sont utilisés à 90% par les hommes. 

Retournons maintenant dans le centre-ville et arrêtons-nous, un dimanche matin, aux alentours de 11h, au city-stade du Parc Longchamp. Comme chaque semaine, les membres du Drama Queer Football Club s’entraînent. Cette association de football transféministe, créée en 2020, compte dans ses rangs uniquement des femmes et des personnes non-binaires. Vous l’imaginez, l’équipe a eu du mal à s’imposer sur ce city-stade. Mais ce n’est rien face aux obstacles rencontrés lorsqu’elle a voulu passer au stade supérieur. Car depuis sa création, l’équipe a vite grandi et elle a eu besoin d’un terrain plus grand. Un souhait qui s’est rapidement transformé en combat pour se faire une place sur les terrains et au sein des fédérations sportives marseillaises, largement dominées par les hommes. 

Revenons un peu en arrière. En 1997 déjà, le groupe de supportrices affiliées à Marseille trop puissant “Les cagoles”, porté par Cécile Hibernac, questionnait le sexisme dans le milieu du football. Dans leur manifeste, elles comparaient les droits qu’ont les hommes par rapport aux femmes dans ce lieu : si elles agissent comme le font les hommes, les femmes sont systématiquement considérées comme des cagoles. Une identité qui souffre (encore) de stéréotypes sexistes – la cagole est trop bruyante, trop vulgaire, trop superficielle – et qu’elles ont décidé de se réapproprier.

Sur leur site, qui s’apparente à un manifeste, on peut lire :

On n’est pas des minettes de Paris

On est des vraies cagoles de Marseille

Nos forces, nous on les puise sous le soleil

Les Spice Girls à côté, c’est du pipi

Au stade on met le feu plus que les mecs

Qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas, faut faire avec!

On n’est pas du genre à faire la vaisselle
Ou à descendre gentiment les poubelles”

Deux personnes ont aidé les habitant.es à se sentir plus libres dans l’espace public :  Matis Esbri, co-fondateur de l’équipe de football transféministe les Drama queer football club et Souad Boukhechba, la fondatrice des femmes du plan d’Aou en action.

 Montée par Souad Boukhechba, le Café des femmes offre un lieu de prise de parole et d’activités aux habitantes du quartier qui s’y retrouvent. « Ces femmes se sentent soutenues, accueillies comme si c’était chez elle (…) Souvent, ce sont des femmes souvent seules. C’est un combat pour elles.» Elle mène un travail de protection des femmes, souvent invisible. « La souffrance est avec leurs enfants ou avec leur mari. Parfois ce sont des situations très graves où nous on intervient. Avec plusieurs femmes, on va au domicile et on discute avec la personne, on calme le tout ». Pendant la pandémie de Covid-19, Souad était sur le terrain auprès des familles monoparentales ou des personnes âgées, qu’elle trouvait parfois alitées. Elle se retrouve avec d’autres bénévoles à apporter des plateaux-repas. « C’est mon combat avec les bénévoles. (…) On est dans cette logique de se battre contre la pauvreté à Marseille. Il y a beaucoup de pauvreté invisible », souligne-t-elle. Depuis, elle s’est fait entendre jusqu’auprès de l’ex-ministre de la ville Nadia Hai (Renaissance) et a pu créer un foodtruck social et solidaire Les Tatas du cœur.

 Matis Esbri, co-fondateur de l’équipe de football transféministe les Drama queer football club rappelle l’origine du projet, né pendant la Coupe du monde féminine de 2019. « On se retrouvait en terrasse de bar au Cour Ju’ ou à la Plaine pour regarder les matchs. On a suivi l’équipe des États-Unis avec Megan Rapinoe et plusieurs engagements politiques pris par cette équipe à ce moment-là », raconte Matis sur scène. Son groupe s’interroge : « Pourquoi nous, on a grandi en tant que fille, on n’a jamais eu accès au football ? ». 

Au moment du Covid, les terrains de sports étaient fermés : « on en a profité pour s’installer dans l’espace public. On se retrouvait tous les dimanches matin au parc Longchamp pour jouer au foot ». Rapidement, le groupe attire du monde et tente de s’imposer sur un city stade face aux habitués. « C’était difficile de s’imposer mais c’était des enfants !, tempère-t-il. Ils ont l’habitude de jouer entre garçons. Des pères venaient jouer et ne supportaient pas qu’on prenne la place. C’est vraiment nouveau pour eux. C’est encore plus compliqué auprès des institutions ». Le groupe cherche à jouer sur un stade synthétique mais les discussions avec le club le plus proche n’aboutissent pas. Le club ne trouve pas de créneau pour un club transféministe et la Fédération française de football « ne savait pas quoi faire ». Une autre fédération va finir par ouvrir ses portes. « Ça a été une bataille. A la FSGT, ils étaient plus ouverts mais il n’y avait pas d’équipe féminine en foot à 7 avant que nous on fasse une demande. C’était un gros manque de leur fédération. On a été la première équipe qu’ils acceptaient », rappelle Matis Esbri

Le soutien de la nouvelle mairie

La municipalité a un rôle à jouer pour rendre l’espace public plus accessible. Alors, quelles politiques publiques sont menées par la Ville de Marseille pour faire de ses rues un espace plus inclusif ? Pour répondre à ces questions, Sophie Roques, adjointe au maire en charge de l’état civil et présidente d’HES France, est sur scène. 

« On revient de décennies de combat quasiment absent et de prise en compte nulle de ces combats pour l’égalité. En 2019, sur 5 000 rues, boulevards, impasses, il y avait seulement 81 noms féminins », commence Sophie Roques. « Ça va nécessiter des années de rééquilibrage ». Concernant le soutien aux associations féministes : « c’était 40 000 euros il y a encore 5 ans. Aujourd’hui, c’est des subventions (…) de presque 300 000 euros », rappelle Sophie Roques. « On partait quasiment de 0 pour les associations LGBT. On est autour de 250 000 euros sur l’année 2023-2024 », poursuit l’adjointe au maire et militante LGBT. Un centre LGBTQIA+ a même été ouvert récemment, avec le soutien de la nouvelle municipalité. « Dans des villes plus petites, à Avignon ou Nice, il y a un centre LGBTQIA+ depuis longtemps. Et ce n’était pas le cas à Marseille », regrette Sophie Roques.

Depuis le 1er août 2022, la ville teste le dispositif Safer qui permet à toute personne harcelée ou agressée sexuellement ou à des témoins d’activer un bouton d’urgence. L’alerte est donnée au personnel du poste de secours qui géolocalise la victime. Si le dispositif est dissuasif, les utilisatrices pointent de nombreuses limites. Il y a eu un problème de formation des équipes.

En 2018, suite à la création de l’outrage sexiste, un nouveau délit visant à lutter contre le harcèlement de rue, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône a administré à ses agents une formation inédite sur ces problématiques. En 2021, la ville de Marseille a initié un partenariat avec l’association FLAG, qui travaille à l’amélioration de la prise en charge des publics LGBT par les services de la police nationale et de la gendarmerie.

Les agents doivent être formés à ces outils et à un accueil de tous les publics. « On est sur un rattrapage », explique Sophie Roques. En 2021, l’adjointe au maire, avec d’autres élu.es, a témoigné dans le journal La Marseillaise pour revendiquer son homosexualité. « Dans ma jeunesse, j’ai longtemps souffert de l’absence de modèles. (…) Il a fallu l’arrivée de certaines séries TV pour voir des lesbiennes à la télé », explique-t-elle. « Dire “je suis une personne lesbienne, je fais de la politique et je suis élue”, c’est un message. Si ça peut aider ne serait-ce qu’un ou deux jeunes qui ont lu l’article, c’est important. C’est important d’incarner les combats ».

Une enquête sur scène de Margaux Mazellier


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