50 ans de féminisme

Souad Boukhechba : « Même si on a souffert, on peut encore se battre »

Figure du Plan d’Aou à Marseille, Souad Boukhechba raconte son combat pour les femmes de son quartier à Mediavivant.

13 Fév 2024
Figure du Plan d’Aou à Marseille, Souad Boukhechba raconte son combat pour les femmes de son quartier. Crédit : M. Mazellier Graphisme : E. de Crécy
Figure du Plan d’Aou à Marseille, Souad Boukhechba raconte son combat pour les femmes de son quartier. Crédit : M. Mazellier Graphisme : E. de Crécy

« Souad trouve toujours une solution à nos problèmes ». C’est ce que disent les habitant.es du Plan d’Aou, un quartier de Saint-Antoine situé dans le XVe arrondissement de Marseille, en parlant de Souad Boukhechba. Avec son Café des femmes, créé en 2020 en partenariat avec Banlieues santé, cette Marseillaise de 55 ans a voulu ouvrir un lieu dédié aux femmes en situation de précarité, comme elle le raconte lors de l’enquête sur scène de Mediavivant adaptée du livre « Marseille trop puissante » (ed.Hors d’atteinte). Un endroit dans lequel elles pourraient « se ressourcer, échanger et se retrouver ».

Depuis des années, Souad Boukhechba soigne, répare et protège les femmes de son quartier. Un engagement qui a commencé bien plus tôt, en 1998, au travers de son association Les femmes du Plan d’Aou en action. Depuis sa création, elle facilite le relogement des mères célibataires à la rue, aide des personnes âgées à remplir leurs documents administratifs, règle des conflits conjugaux… « J’ai moi-même vécu la galère, explique-t-elle. J’ai élevé seule quatre enfants avec 800 euros par mois. Je parle toujours de ce que j’ai vécu ; et je sais que si je l’ai vécu moi, c’est le cas de beaucoup d’autres ».

En 1997, enceinte de son troisième enfant, elle quitte un mari violent et retourne vivre chez sa mère. Elle rejoint alors le Secours catholique du XVe arrondissement, en tant que cuisinière bénévole : « J’animais des ateliers de cuisine avec un groupe de femmes battues. On se retrouvait entre femmes, je leur apprenais la cuisine française et elles m’apprenaient leur cuisine. Avec les repas qu’on préparait, on se payait des séjours en dehors de Marseille. Mais, au fond, la cuisine était surtout un prétexte pour parler de nos histoires personnelles. » Une graine est semée.

Plus tard, peinant à retrouver un logement pour elle et ses enfants, Souad Boukhechba assiste à une rencontre avec le maire de secteur de l’époque dans le cadre d’un plan de relogement du Plan d’Aou. « Tout le monde était très en colère, certains attendaient d’être relogés depuis quinze ans ! On était une dizaine de mères seules, se souvient-elle. Au bout d’un moment, le maire m’a regardée et m’a dit : “Mais pourquoi vous ne faites pas une association, madame ? Les gens vous écoutent et vous allez droit au but. »

« Je veux me battre pour ceux que la société a oubliés »

En 1998, avec d’autres habitantes, elle lance Les Femmes du plan d’Aou en action, dont elle est encore aujourd’hui la vice-présidente. Après l’association Schebba, montée en 1986 par un groupe de jeunes filles de la Busserine (XIVe arrondissement) dans le but de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des femmes, c’est l’une des premières associations de femmes des quartiers nord. Au départ, son objectif est de recréer « l’esprit de collectif » que Souad a découvert au Secours catholique : « Je voulais retrouver la paix et montrer aux habitantes que, même si on a souffert, on peut encore se battre ».

Au fil des années, Souad Boukhechba a vu de nombreuses femmes s’épanouir : « Certaines ont passé le permis ou ont décidé de travailler. Pour d’autres, le simple fait de s’extraire de leur foyer les a profondément changées. Elles avaient moins peur de leur mari. Parfois, ils finissaient même par les suivre », s’amuse-t-elle. Pour elle, son association est devenu un lieu vers lequel on peut se tourner lorsque l’on n’a pas de famille : « Quand je souffrais, il n’y avait personne pour m’aider. Mon association m’a permis de me battre pour ceux qui, comme moi, ont été oubliés par la société. »

Progressivement, de nombreuses familles d’autres cités se tournent vers Souad : « Avec le bouche-à-oreille, je me suis retrouvée en contact avec neuf cents familles, de la Savine, Kallisté, Saint-Louis, La Bricarde, la Castellane… pour un colis alimentaire, une histoire de papiers, un appartement. » Elle aide alors plusieurs structures à se créer : « J’ai rencontré ces femmes dans leurs quartiers en distribuant des colis alimentaires : je cherchais des femmes de caractère qui aimaient leur quartier et à qui les gens faisaient confiance, puis je leur conseillais de monter une association de femmes. Comme ce maire l’a fait à l’époque avec moi. »

Depuis juin 2023, Souad développe un nouveau projet de food truck solidaire, les Tatas du cœur : « Dans ce quartier, il y a des Marocaines, des Tunisiennes, des Comoriennes, des Européennes… On s’est dit qu’on pourrait mettre en commun nos compétences pour lutter contre la précarité alimentaire tout en faisant travailler les femmes. L’idée, c’est de leur redonner confiance en elles et de les aider à recréer du lien social », raconte-t-elle. Avant d’exploser de rire : « Je vais en faire partout en France. Je vais les mettre en franchise de partout ! »

Margaux Mazellier


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