Guerre Israël-Hamas

Khaled Benboutrif, médecin de retour de Gaza : « On avait une mortalité de 60% » 

Parti en tant qu’urgentiste volontaire, Khaled Benboutrif s’est donné pour mission de raconter la tragédie qu’il a vécue sur place.

17 Avr 2024
Khaled Benboutrif est hanté par ce qu'il vécu dans la Bande de Gaza. Crédit:K.B/ E.C
Khaled Benboutrif est hanté par ce qu'il vécu dans la Bande de Gaza. Crédit:K.B/ E.C

Le mot ponctue son discours et ravive les souvenirs douloureux : « Injustice ». Le médecin généraliste Khaled Benboutrif est parti en mission deux semaines à partir de fin janvier à Khan Younès, dans l’hôpital européen de Gaza.

Sa décision de se porter volontaire a été prise à peine une semaine après le début du conflit. « Au vu du nombre des victimes, je ne pouvais rester insensible. C’est la moindre des choses que je pouvais faire », explique t-il. La guerre a démarré après l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre, qui a fait environ 1 200 victimes selon l’Israël. Depuis, les représailles de l’État hébreux ont causé plus de 30 000 morts dans la bande Gaza selon le Hamas (comptage jugé crédible par l’ONU).

Parti avec l’association Palmed (Palestine médicale), c’était sa première expérience sur le terrain, lui qui est formé en médecine de catastrophe. Une fois passée la frontière entre Gaza et l’Égypte, il entend le bruit des armes automatiques et les bombardements de l’aviation. Sur place, à l’hôpital, il découvre une situation chaotique.

« On manquait de tout : d’eau potable, de nourriture pour les patients – il y avait seulement un repas par jour -, et de produits pour désinfecter. On manquait de produits pour l’hygiène, de brancards, de médicaments, surtout des antidouleurs et des pansements. ». Envoyé sur place en tant qu’urgentiste, son expérience d’une trentaine d’années au SAMU est mise à rude épreuve.

Des images le hantent : le travail méticuleux des snipers qui « visent la tête pour tuer, les genoux pour handicaper ». Les enfants sont pris pour cible, selon le médecin. « Les enfants… », répète-t-il. Il se souvient des prénoms, celui de Ghazelle, 11 ans, qu’il a soutenue, « tétraplégique après avoir reçu une balle en pleine nuque ». « C’est très dur à vivre », souffle-t-il.

Les journées sont sans fin et sans résultat escompté. « Le bloc opératoire fournissait un travail énorme mais en général ça finissait mal », dit-il. « On avait une mortalité de 60% ». En plus des blessures de guerre, les patients sont atteints de malnutrition qui diminue leur chance de s’en sortir. Faute de moyens et d’hygiène suffisante, il est difficile de freiner les infections. « On opérait et deux ou trois jours après, il faut reprendre, puis reprendre et, après, il faut amputer. »

« Une voie sans issue »

L’hôpital est surpeuplé. Les 300 lits disponibles ne suffisent pas. « On avait 2 000 à 3000 déplacés à l’intérieur qui vivaient dans les couloirs ». L’hôpital se transforme en abri. Des familles venues du nord de Gaza pour trouver refuge au sud « sont maintenues dans une voie sans issue et on les bombarde ». Il a du mal à accepter qu’à une dizaine de kilomètres de là, du côté de la frontière égyptienne fermée, l’aide médicale attend de pouvoir passer. Durant les quinze jours sur place, il assure n’avoir vu aucun combattant, « seulement des civils ».

Depuis son retour, il s’est donné pour mission de témoigner des atrocités de la guerre, quitte à de nouveau faire trembler sa voix et se faire submerger par l’émotion. « Ce que l’on a vécu sur place n’est pas connu par l’opinion publique et certains responsables politiques. Nos collègues sur place nous disaient que c’était essentiel pour eux», explique le médecin. 

Aujourd’hui, Khaled est désabusé. Il a l’impression de ne pas être entendu. « Je m’attendais à plus de réflexes humains », avoue t-il. Avec des médecins et infirmiers, il est signataire d’une tribune, rédigée le 7 avril, qui dénoncent « le silence gêné de la classe politique et des médias nationaux » et demandent à être reçus par le Président de la République. Pour le moment, aucune réponse n’a été donnée. Ces soignants ont été accueillis, dès février, par des délégations de l’opposition, la France insoumise, des écologistes, le Parti communiste de l’Assemblée nationale et du Sénat. « Nous, on voulait s’adresser à tout le monde, au-delà des clivages politiques ». Ils ont, entre autres, demandé aux élus qu’ils fassent pression pour un cessez-le-feu ou que des médicaments soient livrés sans restriction aux hôpitaux.

Il insiste auprès des élus locaux pour être entendu. Il rencontrera la mairie de Toulouse (LREM, LR, UDI), où il exerce en temps normal,  le 2 mai. Un rendez-vous « tardif » pour le médecin qui espérait aussi être reçu au Conseil régional d’Occitanie (PS). « Même obtenir un amphithéâtre pour organiser une conférence, c’est difficile ».

Khaled reste en contact quotidien avec l’hôpital. Lui qui salue la résilience de ses collègues palestiniens n’est pas tout à fait parti de Khan Younès.

Jean-Baptiste Mouttet


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