Recherche

Pierre Rochette : la recherche vit «des chocs de complexification»

L’enseignant-chercheur dénonce les entraves administratives qui paralysent la recherche française. Il a rendu sa médaille d’argent du CNRS, fin novembre.

2 Jan 2024
« Quand je suis entré au CNRS, on avait moins de moyens mais beaucoup plus de liberté », regrette Pierre Rochette. Crédits: P.Rochette/E. de Crécy
« Quand je suis entré au CNRS, on avait moins de moyens mais beaucoup plus de liberté », regrette Pierre Rochette. Crédits: P.Rochette/E. de Crécy

La goutte d’eau de trop. Et même une « grosse goutte », à en croire Pierre Rochette. Le 29 novembre, cet enseignant chercheur d’Aix-Marseille Université a rendu sa médaille d’argent du CNRS après le changement de la gestion des frais de mission. Il entend ainsi protester contre le fardeau de la bureaucratie. À 63 ans et après presque quarante années dans le saint des saints de la recherche française, c’est un crève-cœur pour ce spécialiste de la physique appliquée aux sciences de la terre et de l’environnement. « J’en ai été très fier. Mais, aujourd’hui, c’est plutôt du dégoût que m’inspire la vue de cette médaille », écrit Pierre Rochette le 4 décembre dans une tribune publiée dans Le Monde.

Annoncé d’abord sur Youtube, son geste fait suite à de multiples alertes des personnels du Centre national de la recherche scientifique – chercheurs, ingénieurs, administratifs – contre la mise en place de nouveaux logiciels de gestion des frais de missions. Ils craignent aussi la suppression des postes de gestionnaires chargés jusqu’à présent de ce travail chronophage et dénoncent plus largement des règles et procédures administratives qui entravent leur travail. 

Depuis un an, rapports et pétitions se succèdent pour dénoncer la situation. Publié en mai 2023, le livre blanc du conseil scientifique du CNRS pointe par exemple « un  accroissement continu du niveau de contraintes juridiques et administratives », « un report de tâches administratives vers les personnels de recherche» et encore « une atmosphère de  défiance généralisée ». Des accusations rapidement balayées par la direction du CNRS.

Il a fallu l’annonce par Emmanuel Macron d’une grande transformation de la recherche française le 7 décembre, trois jours après la tribune du géophysicien, pour que la décision de ce dernier trouve un écho médiatique. Si son geste a été considéré insultant par certains, une dizaine d’autres médaillés ont pensé rendre leurs distinctions. « Plus de 10 % des effectifs du CNRS ont signé la pétition. Il y a donc une grosse part des gens qui nous soutiennent », assure Pierre Rochette, au bouc grisonnant.

Scepticisme général

Hausse des rémunérations, moyens supplémentaires, plus grande autonomie des universités et organismes de recherche… Début décembre, Emmanuel Macron a joué au père Noël. Mais au CNRS comme dans les universités, les annonces présidentielles laissent sceptiques. « C’est bien, mais ce n’est pas ça qui va remettre la recherche française en marche. On nous annonce tout le temps des chocs de simplification, mais on a plutôt des chocs de complexification », accuse le géophysicien.

Pour Pierre Rochette, les entraves administratives qu’il dénonce jouent un rôle dans les mauvais résultats de la recherche hexagonale. Désormais 10e mondiale, elle a été dépassée par l’Inde, l’Italie, l’Australie ou le Canada. « Notre travail n’est fructueux que si on a de la liberté d’action et de réaction, poursuit l’enseignant-chercheur. On met deux ans à finaliser un projet quand nos concurrents étrangers mettent deux mois. On engloutit une énergie et des sommes tellement folles dans la gestion des contrats que beaucoup finissent par y renoncer. »

Il a par exemple refusé de renouveler un contrat avec la mairie de Marseille portant sur l’étude de sculptures du musée d’histoire de Marseille. « Ça a pris un an après la fin de nos travaux pour que l’on facture et se fasse payer », désespère le chercheur. Des fournisseurs refusent aussi les commandes de matériel du CNRS, sauf à être payés en avance. Des chercheurs se retrouvent avec des factures sur les bras – location de voiture, d’hôtel, de restaurants – faute d’être au format des nouvelles règles et des nouveaux logiciels de l’organisme. 

Recruté au CNRS en 1985, Pierre Rochette a vécu à l’époque un « rêve ». « La recherche, c’est une passion et un investissement total, au service de l’exploration des frontières de la connaissance », explique l’enseignant-chercheur. Médaillé en 2006, il travaille actuellement sur les conséquences des impacts des météorites sur l’environnement. « On a identifié des méga-feux générés par des impacts d’astéroïdes, comme au Ghana, mais l’application de notre travail peut aussi être d’ordre archéologique», détaille le géophysicien.

« Quand je suis entré au CNRS, on avait moins de moyens mais beaucoup plus de liberté », regrette le chercheur. Si la direction du CNRS assure que le problème de logiciels est désormais réglé, Pierre Rochette assure que ça n’est pas le cas et espère d’autres actions à la rentrée. En attendant, sa carte de vœux 2024 est un simple slogan : « La liberté de chercher ».

Jean-François Poupelin


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