Liberté

Aux Etats-Unis, Joy Buolamwini fait reculer la reconnaissance faciale

Chercheuse au MIT, Joy Buolamwini, qui se définit comme une « poète du code », fait partie des figures de proue mondiales de la lutte contre la surveillance.

19 Juil 2024
Joy Buolamwini, l’autrice de «Unmasking AI : My Mission to Protect What Is Human in a World of Machines». Crédit : Naima Green/Penguin Graphisme: E.C.
Joy Buolamwini, l’autrice de «Unmasking AI : My Mission to Protect What Is Human in a World of Machines». Crédit : Naima Green/Penguin Graphisme: E.C.

Le Georgia Institute of Technology, l’université d’Oxford, le MIT. Une liste à rallonge de prix et de bourses prestigieuses. Le parcours universitaire de Joy Buolamwini est hors norme. Mais l’autrice de « Unmasking AI: My Mission to Protect What Is Human in a World of Machines », sorti aux Etats-Unis fin octobre et que l’on pourrait traduire par « Démasquer l’IA : ma mission pour protéger l’humain dans un monde de machines », est surtout connue comme une des grandes figures de l’activisme numérique aux Etats-Unis.

Code gaze

Le cœur de son travail ? Les discriminations algorithmiques. Passionnée par les nouvelles technologies et la robotique, elle se heurte dès 2011 aux limites de la reconnaissance faciale. Encore étudiante, elle fabrique, pour un exercice, sa première machine, un petit robot censé interagir avec les humains quand il en aperçoit. L’outil fonctionne quand il voit son camarade blanc. Il ne la détecte pas quand elle, une femme noire, passe devant.
Le sujet la hante. Dès 2016, elle oriente son travail de recherche sur les biais algorithmiques et démontre l’omniprésence des biais racistes et sexistes dans les technologies de reconnaissance faciale utilisée par les plus grandes entreprises du secteur qui peinent à identifier les personnes noires et en particulier les femmes. Microsoft, IBM et Amazon, ont depuis arrêté de vendre des technologies de reconnaissance faciale aux forces de l’ordre. Un concept clef résume ses recherches : le « code gaze », ou  «  le regard du code », construit dans la continuité de la théorie féministe du « male gaze ». « Le “code gaze” désigne la manière dont les priorités, les préférences et des biais de ceux qui font les technologies peuvent se propager à une vitesse hors norme, comment la technologie encode les discriminations sans même que ceux qui la crée en ai l’intention », écrit Joy Buolamwini dans son livre. 

Une « poète du code »

Comment lutter ? L’universitaire voit au-delà de la recherche. En 2016, elle fonde l’Agorithm Justice League (AJL), une association destinée à lutter contre les biais algorithmiques par la production de savoir. En parallèle, elle défend une approche artistique autant que scientifique. En 2017, elle présente par exemple « AI, Ain’t I A Woman? » (« Intelligence artificielle, ne suis-je pas une femme ? »), une œuvre poético-numérique qui illustre les biais technologiques qui empêchent les logiciels de reconnaissance faciale de genrer correctement les femmes noires. Un travail majeur, qui l’amènera jusqu’à la Maison Blanche sous la présidence de Joe Biden, qui l’a plusieurs fois consultée sur le sujet IA. Dans les derniers chapitres de son livre, Joy Buolamwini évoque la face sombre de son combat : la tentation d’arrêter définitivement son doctorat, la pression médiatique, la difficulté des journées à rallonge et de l’esprit fragmenté. Et le sens retrouvé par l’écriture et la lutte. Pour,  écrit-elle, « faire rêver les filles de la diaspora et faire se questionner les enfants du privilège ».

Clément Pouré

Voir aussi l’enquête « Les Jeux olympiques sous haute surveillance ».


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