Côte d'Azur

Fanny Danna : « Quand les élèves sortent, c’est un choc pour eux »

Au collège Maurice Jaubert, dans un quartier prioritaire de Nice, l’enseignante Fanny Danna a impulsé le projet « Fil d’Ariane » pour lutter contre le décrochage scolaire.

29 Mai 2024
Fanny Danna porte le projet "Fil d'Ariane" auprès de collégiens niçois.
Fanny Danna porte le projet "Fil d'Ariane" auprès de collégiens niçois.

Il faut la suivre. Fanny Danna, 46 ans, court toute la journée, de classe en classe, pour préparer le futur voyage des élèves ou pour parler de son projet le « Fil d’Ariane » au collège Maurice Jaubert à Nice.  Quand elle se pose enfin et raconte, cette professeure de français transmet son enthousiasme des premiers jours, même si le quotidien dans un collège de quartier paupérisé est parfois difficile. 

L’Ariane est un quartier historique et stigmatisé, à l’arrière-plan de Nice, sans tramway pour y accéder. Une cité méconnue, sous le soleil comme raconté dans notre enquête sur scène. Malgré de grands plans de rénovation, la situation sociale y est préoccupante.  En 2020, 67% des collégiens appartenaient à des familles défavorisées, selon les données du ministère de l’éducation.

Au collège Maurice Jaubert, une classe "Fil d'Ariane" développe les compétences des élèves et leur permet de moins décrocher. Quartier de l'Ariane, Nice. 4 mars 2024. Crédit : D. Gastaldi
Au collège Maurice Jaubert, une classe « Fil d’Ariane » développe les compétences des élèves et leur permet de moins décrocher. Quartier de l’Ariane, Nice. 4 mars 2024. Crédit : D. Gastaldi

Un temps enseignante à Bondy, une des communes les plus pauvres de Seine-Saint-Denis (93), Fanny Danna se plonge alors dans les livres du psychopédagogue Serge Boimare. À son retour à Nice en 2009, elle fait tourner ses livres dont « L’enfant et la peur d’apprendre » et propose à l’équipe de s’en inspirer pour créer un dispositif spécial. Dès l’année suivante, une classe « Fil d’Ariane » est lancée, avec des rythmes soutenus de « lecture-débat-écriture », que le chercheur préconise,  autour de textes littéraires comme scientifiques.  «On prend les élèves au hasard. Il peut arriver à la marge que des profs de primaire nous envoient des élèves qui auraient besoin de ce dispositif. On a des élèves d’Ulis aussi, pour l’inclusion de jeunes avec handicap», précise-t-elle.

Au total, cette classe lit 450 textes en quatre ans de collège, apprend à synthétiser, à mettre des mots sur des émotions et des idées. « Ça permet de parler d’eux-mêmes », ajoute la Niçoise. Le but est d’argumenter entre eux sur des sujets de société abordés dans ces œuvres. Les règles de tout bon débat sont d’ailleurs placardés bien en vue sur le mur de la classe. « En prise de parole, ils sont meilleurs que les autres », constate l’enseignante.

35% d’absentéisme en moins

Fanny Danna s’anime dès qu’elle parle des résultats : les élèves en parcours « Fil d’Ariane » empruntent plus de livres au CDI que les autres classes, jusqu’à deux fois plus pour les 5e. «C’est énorme, on ne pensait même pas prendre cet indicateur au départ», complète-t-elle. Dans un rapport envoyé à la Fondation de France, elle détaille aussi « un absentéisme moins marqué que dans d’autres classes, environ 35% de moins ». De quoi lui donner l’énergie pour se battre encore, dans un contexte où il faut aller chercher des moyens financiers pour les projets.

La nouvelle mesure adoptée pour créer des groupes de niveaux au collège, annoncée par le premier ministre Gabriel Attal, l’inquiète. « Si le groupe classe est explosé, cela sera préjudiciable pour le Fil d’Ariane, en plus de l’être pour la cohésion », précise la professeure, rencontrée avant la parution de l’arrêté du 15 mars 2024.

Ces lectures permettent d’impliquer les élèves, de les pousser à la réflexion, d’enrichir leur vocabulaire, de s’écouter entre eux et de développer leur éloquence. Au final, il y a moins de décrochage scolaire, même si « on n’a pas non plus trouvé la solution miracle ». Le projet intrigue et fait des émules. Les inspecteurs viennent sur place pour découvrir le projet. Avec les autres enseignants, Fanny Danna a par ailleurs donné des formations dans l’académie.

Pour développer encore plus les compétences de ces jeunes, trop souvent stigmatisés, son équipe pédagogique les emmène aussi au théâtre, à l’opéra ou organise des marathons philosophiques. « Le problème d’un collège enclavé, c’est l’entre-soi, poursuit Fanny Danna. Quand les élèves sortent et qu’ils voient qu’il y a d’autres codes, d’autres repères culturels, c’est un choc pour eux ».

Son implication se fait même en dehors des cours pour mieux suivre ces élèves de milieux précaires, dont des familles gitanes ou tchétchènes. Une façon de leur donner une chance de plus. « On a même le numéro des orthophonistes ou des psy de certains élèves », s’étonne-t-elle encore.

Les idées foisonnent. « Dernièrement, on a croisé une ancienne élève qui fait des études d’avocat. Leurs parents ne peuvent pas les aider pour trouver un stage. Nos milieux sociaux font une différence », raconte-t-elle. Alors, avec l’équipe pédagogique, Fanny Danna compte monter un réseau d’anciens collégiens, pour qu’ils puissent partager leur expérience future ou demander un coup de pouce pour des stages. Son œil brille rien qu’en y pensant. Elle s’exclame, dans un éclat de rire :  « On fera un réseau comme à Sciences Po! ». 

Daphné Gastaldi


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