Mouvements de révolte
Nair, auprès des jeunes : « Ils ont évacué leur peine »
Après la mort de Nahel et les mouvements de révolte partout en France, Nair Abdallah, « un grand frère » de la cité Maison-Blanche à Marseille, raconte le sentiment de colère dans son quartier.
« Faites attention. S’il y a moyen de rentrer, rentrez chez vous ». En plein live sur les réseaux sociaux, Nair s’arrête net et conseille à un groupe de jeunes de quitter les lieux au plus vite. Ce 29 juin, il filme la manifestation de soutien à la famille de Nahel, tué à bout portant par un policier deux jours plus tôt, lors d’un contrôle routier à Nanterre. Après les discours devant la préfecture des Bouches-du-Rhône à Marseille, un incendie démarre sur la voie publique. Les policiers bloquent l’accès aux rues commerçantes, le gaz lacrymo attaque les yeux. Partout en France, des mouvements de révolte éclatent et près de quatre mille personnes sont interpellées en moins d’une semaine, selon le ministère de la Justice. « C’est bien pire qu’en 2005 », estime-t-il.
À 32 ans, Nair est conducteur de camion benne et cofondateur du collectif Les habitants de la Maison Blanche (14e), connu pour ses actions de solidarité et sa lutte contre les violences. Nair fait figure de « grand frère », depuis qu’il a été animateur et bénévole dans des associations du coin. Il a grandi dans les cités de Kalliste, Félix-Pyat et à Maison Blanche, toutes situées au Nord de Marseille.
« On savait que ça allait éclater »
Comme Nahel, « j’ai conduit sans permis pendant des années, se souvient-il. Je me suis identifié à lui. J’identifie même tous les jeunes de mon quartier à Nahel ». Il n’est pas surpris par la révolte de ceux qui sont appelés « les émeutiers ». Le drame « les a renvoyés en arrière », quand d’autres « frères » ont été « tués par des balles de la police ».
Par le passé, Nair a déjà dû raisonner des « petits » pour qu’ils n’aillent pas se venger suite à des violences policières. « Ce n’est pas tous les policiers qui fautent », tempère-t-il dans une vidéo récente sur Facebook. Mais « dans l’action », il n’y a pas de médiation possible selon lui. Leur dire que la justice passera ne convainc plus. «Je m’en fous», lui rétorquent les «petits frères» depuis la mort de Nahel. « Ça ne sert plus à rien de parler en ce moment, souffle-t-il. Ils ont évacué leur peine ». Les violences, les incendies, la casse ou les pillages, il ne les cautionne pas. Dans la nuit du 1er au 2 juillet, une concession Volkswagen a été pillée près de chez lui. « Avec d’autres référents d’associations, on s’est mis devant. Quand ils nous ont vus, les jeunes de mon quartier n’ont pas osé participer ». D’autres, « perdus », y sont allés. Certaines scènes de ces derniers jours lui rappellent le film Athena, de Romain Gavras (2023), un film Netflix sur une insurrection dans une cité après la mort d’un jeune suite à une intervention de police.
« On savait que ça allait éclater, poursuit le trentenaire. On se demandait quand ce moment arriverait, où un policier serait filmé quand il sort son arme et avertit de ce qu’il va faire ». Depuis, l’agent auteur du tir a été placé en détention provisoire, à la prison de la Santé à Paris. Nair Abdallah dénonce les dérives « des policiers qui ne respectent plus leur code de déontologie ». Il plaide pour remettre du dialogue dans les quartiers et pour une police de proximité qui communique davantage avant de réprimander. À la fin de notre échange, Nair interroge la devise française : « Liberté, fraternité, ok. Mais l’égalité ne doit pas marcher que dans un sens ».
Daphné Gastaldi