Nouveaux talents

Stéphanie Vovor : « Toute poésie est politique »

Signataire de la tribune anti-Tesson, Stéphanie Vovor, auteure de «Frénésies», fait partie d’une nouvelle génération de poétesses engagées: les « instapoètes ».

16 Jan 2024
Stéphanie Vovor, auteure de "Frénésies" et performeuse. Crédit : Maïssa Grisel. Graphisme : E. de Crécy
Stéphanie Vovor, auteure de "Frénésies" et performeuse. Crédit : Maïssa Grisel. Graphisme : E. de Crécy

Elle n’a pas encore son propre agent mais ça ne saurait tarder. Stéphanie Vovor a publié son premier livre « Frénésies » (Castor Astral) à l’automne. Dès la préface, ce «livre-volcan» vous attrape par son style cash. C’est le célèbre auteur haïtien Jean d’Amérique qui qualifie ainsi son œuvre et célèbre son écriture nerveuse « telle une veine qui explose ».

À 28 ans, la poétesse, originaire de Reims, a un langage marqué par l’oralité. Sa matière première est son quotidien, « les gens » autour d’elle, enrichi de culture populaire, des clashs de la téléréalité ou des chaînes d’information en continu, et du langage managérial qui irrigue notre société. Dans ce récit poétique, elle dépeint les inégalités sociales, la notion de consentement ou les discriminations envers les femmes.

L’open space des femmes précaires

Son job d’opératrice téléphonique, qu’elle a exercé plus de cinq ans en parallèle de ses études, a été une source d’inspiration. « J’ai découvert l’entreprise privée, les open spaces. J’ai trouvé ça abominable au début. Puis, c’est devenu une micro-société à explorer », commence-t-elle. Cette expérience est une prise de conscience. « Il y avait des personnes qui ne pouvaient travailler nulle part ailleurs, comme des femmes voilées.  J’y ai découvert le sentiment d’échec au sein du corps social et mon privilège de faire des études », poursuit-elle. 

Dans ce centre d’appel surnommé Care Assistance, elle enchaîne les appels aux naufragés de la route à longueur de journée. « Organisez votre corps pour être opérationnelle /C’est un théâtre miteux /C’est une opportunité exceptionnelle /C’est une futilité si totale qu’on dirait presque de la profondeur /Vous devez sourire parce que ça s’entend au téléphone /Mettez du vernis sur vos cris ».

Elle qui est fille d’infirmière en psychiatrie et d’un professeur de philosophie se retrouve formée aux techniques du lean management. « Au début, je trouvais ça ludique et puis, avec le temps, j’ai compris ce que cela cachait : les notions de performance et de recherche de rentabilité », se souvient l’auteure. Elle suit ses « copines » du centre d’appel dans leur quotidien, souvent précaire. Certaines pratiquent la chirurgie esthétique. Elle doit aller au-delà de ses préjugés. « Le travail nous lessivait. Certaines essayaient de se valoriser par le sport ou la chirurgie. Elles allaient faire des UV à Plein soleil en hiver. Certaines des injections. Ça me faisait peur au début. Je me suis rendue compte que c’était une façon pour elles de se réapproprier leur corps ». Ces opératrices téléphoniques ont toutes lu son livre. « Elles ont plutôt bien réagi. C’est leur vrai prénom ! Elles n’imaginaient pas que ce soit publié. Moi non plus », s’amuse-t-elle.

Aller vers un nouveau public

Stéphanie Vovor garde la maîtrise du style et du rythme – elle a étudié le droit des affaires et a obtenu un master de création littéraire à Paris 8. Avec d’autres camarades de l’université, elle crée le Krachoir en 2020, avec un -k en hommage à Kafka. Dans ce laboratoire de création «non convenable et non convenu», elle participe à des scènes ouvertes pour partager ses textes, dans des bars ou des lieux culturels, des théâtres parfois. Une autre façon de toucher le public : « la plupart des gens qui viennent ne lisent pas forcément de poésie, n’écoutent pas d’émission littéraire. Pour certains, la lecture renvoie même à l’échec scolaire. Un livre, c’est cher aussi », souligne-t-elle.

À l’écoute, ses premières interviews radio ne semblent pas la prendre au dépourvu. Lire des textes en public est une habitude : Stéphanie Vovor est diplômée de théâtre au cours Florent. Elle est très vite montée sur scène pour ses performances poétiques, sur de la musique électro parfois. Ses temps d’écriture sont plus anarchiques qu’elle aimerait. « Je prends des notes en permanence, même sur des tickets de caisse que je colle ensuite dans un carnet », raconte-t-elle. Son style est incisif, claque, use de l’argot de façon ingénieuse. « Vous êtes détentrice d’un CDI chez Care Assistance / Vous bicravez votre âme », assène-t-elle dans le chapitre « La fille du téléphone ». Mais ne la comparez pas tout de suite à une slammeuse : « au début, je n’étais pas inspirée par le slam français. Je voyais même ça comme un sous-rap. C’est grâce aux slammeuses belges comme Lisette Lomdé que j’ai réalisé que ça pouvait être génial ! », explique-t-elle.

Les « instapoètes » modernisent le genre

La période est propice, les ventes de livres de poésie sont en hausse, selon le cabinet d’études GFK. Sur les réseaux sociaux, les « instapoètes » connaissent un succès inattendu depuis quelques années. Par la scène et les vidéos, ces poètes d’un nouveau genre attirent un autre public. Les internautes accèdent à la poésie par l’image en premier, ce qui peut enclencher un acte d’achat des livres ensuite. Sur Instagram, Stéphanie Vovor interagit avec des auteures afrodescendantes comme Kiyémis (« À nos humanités révoltées »), Sara Mychkine (« De minuit à minuit ») et des membres de son collectif Poétesses Gang comme Selim-a (« Des odeurs de bretzels de barbecue et de weed ») ou Rim Battal (« Mine de rien »). Elle ne connaît pas encore le Togo, le pays d’origine de son père en Afrique de l’Ouest, mais vit avec cet « héritage complexe ».

En plus de promouvoir une contre-culture poétique, Stéphanie Vovor travaille dans l’association France Terre d’Asile et aide des mineurs isolés à ne pas finir à la rue. Cette semaine, elle mène un autre combat : avec des auteur.es, elle prépare une réponse collective face à la nomination de Sylvain Tesson comme parrain des 25 ans du Printemps des poètes. Ce choix l’a abasourdi car  « l’écrivain-voyageur » est connu pour ses liens avec l’extrême-droite. À l’opposé de ses combats antifa et de ses valeurs humanistes.« Un jour, le vieux monde, on twerkera sur sa tombe », promet-elle dans ses pages.

Daphné Gastaldi

Cet article a été actualisé le 29 janvier 2024. Stéphanie Vovor est signataire de la tribune «Nous refusons que Sylvain Tesson parraine le Printemps des poètes», signée par un collectif d’environ 2 000 poètes, auteurs, libraires ou éditeurs, dont Jean d’Amérique, Baptiste Beaulieu ou Chloé Delaume, parue dans Libération le jeudi 18 janvier. Depuis la publication, la polémique autour de cette icône jugée « réactionnaire » a conduit à la démission de la directrice du Printemps des poètes. La presse d’extrême-droite a pris la défense de l’auteur. Des signataires de la tribune subissent des menaces. Le 28 janvier, Sylvain Tesson se défendait sur le plateau du 20h de France 2.


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