Environnement
Élodie Magnanou : «En priorité, je protègerais les vieilles forêts»
Ingénieure de recherche au CNRS, Élodie Magnanou suit de près l’évolution de la forêt de la Massane en libre évolution depuis un siècle et demi. Les sécheresses répétées menacent les hêtres.
La réserve naturelle de la forêt de la Massane, et ses 336 hectares, est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Composée en grande partie d’une hêtraie, située dans les Pyrénées, elle est en libre évolution depuis 150 ans. Ingénieur de recherche au CNRS à l’Observatoire océanologique de Banyuls, Élodie Magnanou est la vice-présidente de l’Association des amis de la Massane. Elle tente de comprendre l’adaptation de la réserve aux changements climatiques et défend la protection des vieilles forêts.
La forêt de la Massane est en libre évolution depuis 150 ans. Quelles conséquences a la libre évolution sur un territoire?
Cela dépend de quelle forêt on parle. La forêt de la Massane est une ancienne forêt, qui est présente en continu probablement depuis la dernière glaciation, il y a 14 000 ans. Elle a les caractéristiques d’une vieille forêt qui sont l’ancienneté, la continuité, la maturité, la complexité avec de multiples essences… En 1881, toute exploitation forestière a été arrêtée. Mais des parcelles n’étaient déjà pas utilisées depuis plus longtemps, certaines depuis 300 ans.
Si vous prenez une forêt des pins des Landes, qui est une forêt sur un sol pauvre, car ce n’était pas des terrains forestiers avant que des pins ne soient plantés à l’époque de Napoléon III, tous les arbres ont le même âge et ils ne sont que d’une seule essence. Ce n’est pas une forêt, c’est un champ d’arbres. Si vous placez cette forêt en libre évolution, ni vous, ni vos enfants et petits-enfants, ne verront de vieilles forêts. C’est seulement à la troisième ou quatrième générations d’arbres, dans 600 ans ou 800 ans que l’on commencera à voir quelque chose qui ressemble à une organisation naturelle.
Si on choisit une forêt qui est déjà d’une grande complexité et qui a déjà de très vieux arbres, la libre-évolution lui donne le coup de pouce ultime pour qu’elle continue de s’épanouir et être indemne de toutes activités humaines directes. Elle ne sera cependant pas protégée du changement climatique, ni de la pollution, ni de l’invasion d’espèces.
Il n’y aurait donc pas d’intérêt à placer en libre évolution des forêts en monoculture?
Il y a la contrainte de l’acquisition foncière. On fait avec ce que l’on est apte à acheter. C’est miser sur l’avenir, soustraire des forêts à l’exploitation et peut-être permettre la création de corridors écologiques pour la continuité de territoires préservés.
S’il y avait des forêts à protéger, en priorité, je protégerais les vieilles forêts qui ont énormément de valeur. Elles hébergent une importante biodiversité. Les arbres possèdent un riche patrimoine génétique et développent une plus forte résilience aux changements. Il n’y a pas de statut de protection spécifique pour les vieilles forêts en Europe. Cela a fait l’objet d’une motion proposée par Le WWF au congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en septembre 2021. La France est particulièrement en retard.
Nous avons besoin de cartographier et identifier toutes les vieilles forêts. Il faut déjà les connaître pour ensuite les protéger.
Un territoire laissé en libre évolution peut créer des tensions notamment avec les éleveurs. Est-il possible de surpasser cette dualité homme/nature?
Un paysage, c’est forcément une association entre la nature et l’homme. Si vous écoutez les paléoécologues, ils vous montrent à quel point la répartition des espèces est conditionnée par la modification du climat depuis la fin de la dernière glaciation mais aussi que l’homme a eu une incidence. On est incapable de dire à quoi ressemblerait notre forêt méditerranéenne avant que l’homme n’intervienne. Depuis des millénaires, elle est colorée par le pâturage en forêt extensif de bovins, d’ovins, de caprins.
Dans la forêt de la Massane, il y a toujours eu du pastoralisme extensif. Nous avons considéré qu’une partie de la biodiversité qui s’y trouve est le résultat de la présence des vaches des Albère, une race qui est considérée d’intérêt patrimonial du côté catalan. Par sa présence, il y a une ouverture des milieux, des insectes tirent profit de ses déjections. Le pastoralisme extensif a été maintenu à la condition d’être en bio, qu’il n’y ait pas de traitement phytosanitaire.
La forêt subit les bouleversements climatiques. Nous voulons faciliter la régénération. Le bétail quand il passe, il voit une petite plantule de hêtre verte, il broute. Donc, on maintient le pâturage seulement sur les prairies des crêtes de la réserve.
La forêt de la Massane est composée de hêtres, des arbres qui aiment l’humidité et pourtant nous sommes à l’extrême sud de la France. Comment cette forêt résiste-t-elle à la sécheresse?
En période glaciaire, il y avait des zones refuges. Les conditions climatiques ressemblaient plutôt à ce que l’on peut avoir en Europe centrale maintenant. Quand le climat s’est réchauffé, certaines populations sont restées là, comme des vestiges.
Cette forêt a été exposée à des conditions environnementales extrêmes. Elle a peut-être une meilleure aptitude que d’autres forêts de hêtres à réagir aux sécheresses et aux canicules. Les hêtres de la Massane sont plus aptes que d’autres populations à maintenir un flux d’eau constant. Après, jusqu’à quel point la forêt va tenir le coup ? On ne sait pas. Il y a de la mortalité. Il y a eu deux années avec seulement la moitié des précipitations attendues et en 2023, seulement un peu plus d’un tiers. C’est vraiment préoccupant.
Jean-Baptiste Mouttet