Écolos cherchent forêts à acheter

Partie 1 : A la recherche du sauvage

Des partisans du « réensauvagement » achètent des terrains de façon collective, souvent par des campagnes de dons, dans l’objectif de préserver la nature.

Publié le 20 Mar 2024

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Dernière mise à jour le  27 Mar 2024  à  18h16.

Transcription

Imaginez-vous dans une forêt dont vous avez du mal à distinguer la cime des arbres. Des branches de chênes, de hêtres, de pins s’entremêlent. Vos pas s’enfoncent légèrement dans le sol spongieux. Dans une clairière, des biches ; tout juste lèvent-elles la tête à votre arrivée. Vous replongez dans la forêt. Vous vous frayez un chemin à travers des buissons. La lumière du soleil commence à percer entre les troncs massifs. Vous levez la tête : un vautour fauve, et ses 2, 50 mètres ailes déployées, plane au-dessus de vous. Le sol tremble. Vos pas vous ont mené à une vaste prairie. Un troupeau de bisons déboule face à vous. Cette tentative d’immersion n’est peut-être pas de la science-fiction. 

80% des forêts primaires, c’est-à-dire qui n’ont jamais été modifiées par l’homme, ont été abattues à l’échelle mondiale au cours du dernier siècle. En Europe, une des dernières subsiste en Pologne.

Pourtant, l’association Francis Hallé, du nom du célèbre botaniste, s’est donnée pour mission folle d’en faire renaître une en Europe de l’Ouest.

Vous vous rappelez du vautour fauve qui planait au-dessus de vos têtes. À la fin des années 60, il avait quasiment disparu du territoire français. Il restait seulement une trentaine de couples. Protégée depuis 1972, puis réintroduite, l’espèce compterait aujourd’hui près de 3 000 couples selon la Dreal.

Vous croiserez peut-être des bisons européens sauvages dans les Carpates. Ils bénéficient de projets de réintroduction en République Tchèque ou en Roumanie. Les biches, si elles ne sont pas chassées, si elles ne sont pas perturbées par les humains, n’ont plus de raison de nous craindre.      

Que ce soit par les efforts de protection ou encore en raison de la déprise agricole, c’est-à-dire quand un espace n’est plus cultivé, la nature peut reprendre ses droits. C’est ce que soutiennent les partisans du « réensauvagement »,  la traduction littérale de « rewilding » en anglais. 

Le réensauvagement selon le Cambridge dictionary, consiste à « protéger un environnement et à retrouver son fonctionnement naturel ». Il ne s’agit donc pas seulement de préserver mais aussi de reconstituer la nature. Et elle peut se reconstituer seule. C’est la libre-évolution. 

L’organisation « Rewilding Europe », assurait fin 2022 que ses projets réensauvagent 8,8 millions d’hectares en Europe

Financé par des campagnes de crowdfunding

Protéger des territoires pour que la nature puisse évoluer librement, n’est pas une idée nouvelle. En France, des peintres impressionnistes, menés par Théodore Rousseau, parviennent à créer plus de 1000 hectares de sites « à destination artistique », « soustraits de tout aménagement » dans la forêt de Fontainebleau en 1861.  Yellowstone, aux États-Unis, est le premier parc national. Créé en 1872, seulement 2 % des 9 000 km2 du Parc sont aménagés. Il est souvent cité en exemple en raison de l’introduction du loup en 1994-95 qui a aidé à régénérer tout l’écosystème.

Ce qui est nouveau, c’est la méthode et l’ampleur. Des hommes et des femmes s’unissent par des collectifs, des associations, participent à des fonds de dotations pour acheter des propriétés et protéger, voire reconstituer des forêts. 

Ce ne sont plus seulement des œuvres de riches personnalités comme Douglas Tompkins, le fondateur des marques Esprit et North Face, et son épouse Kristine Tompkins, propriétaire de Patagonia. À la fin des années 80, le couple commence à acheter des terres en Patagonie. Plus de 800 000 hectares sont ainsi protégés par leur soin. À la mort de son époux en 2015, Kristine Tompkins a cédé une très grande partie de la propriété chilienne à L’État

Ce sont désormais des actions collectives, qui permettent de dépasser la propriété individuelle et extraire des terrains de toute logique financière. 

Capture d’écran d’une campagne de crowdfunding pour acheter une forêt à Saint-Victurnien, par l’association Elantifique, sur Ulule en 2024. Crédit : DR

Il suffit de taper « acheter forêt » sur une plateforme de crowdfunding pour découvrir une multitude de campagnes de financement aux finalités différentes. Le don est un des principaux leviers pour mobiliser les fonds nécessaires. 

On peut citer les associations ASPAS, l’Association pour la protection des animaux sauvages, Forêt sauvage, les fonds de dotation La terre en commun qui souhaite racheter des terres à Notre-Dame-des-Landes, Forêt en Vie ou encore certains Groupements forestiers Citoyens et Écologiques.  Des anonymes utilisent leur propre épargne pour acheter eux-mêmes des terrains, comme la metteuse en scène de Mediavivant qui nous l’a appris pendant cette enquête.

La sixième extinction de masse a commencé

Nous pouvons nous demander pourquoi, en France, il existe ce désir d’acheter des forêts? 

Il y a bien entendu une urgence. Nous pourrions citer de nombreux chiffres alarmants mais selon la dernière liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, un tiers des espèces animales et végétales sont menacées, un tiers des mammifères ou des conifères par exemple. La sixième extinction de masse aurait déjà débuté selon des scientifiques.  

La forêt française va mal. Oui, il y a plus d’un siècle elle couvrait 19% du pays et aujourd’hui 31%. Mais la mortalité des arbres a augmenté de 80% ces dix dernières années selon l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).  Les sécheresses, les incendies et les maladies dues au réchauffement climatique la menacent. Parce que la moitié de sa surface est en mono-espèce, elle est fragile et son rôle de « puits de carbone » est même en danger. Elle absorbe moins de C02.  

Les propriétaires ont une responsabilité. Les trois quarts des forêts françaises sont privées, morcelées en 3,3 millions de parcelles. 

La confiance envers l’État est rompue pour certains militants. Les réglementations des parcs nationaux ne seraient pas assez contraignantes. La chasse n’est pas interdite dans les parcs naturels régionaux. À Marseille, dans le parc national des Calanques, elle est autorisée sur la moitié du territoire.  

Le président Emmanuel Macron promettait que 30% de notre espace maritime et terrestre serait « placé en aires protégées d’ici 2022 » et 10% feront l’objet d’une protection forte. Si le premier objectif aurait été dépassé selon l’Elysée, l’échéance du second a été repoussée à 2030. 

« Des fantassins » de la nature 

Fer de lance du réensauvagement, l’Aspas est connue pour son opposition frontale aux chasseurs qui lui rendent bien son animosité. Elle est soutenue par le journaliste Hugo Clément et a pour porte-parole Marc Giraud, naturaliste. Vous vous en souvenez peut-être, ce dernier avait des chroniques dans l’ancienne émission de TF1, Coucou c’est nous. Cette association sait communiquer. Elle défend l’environnement y compris par le levier juridique. Elle assure avoir lancé plus de 3 500 procédures en 40 ans.

Surtout, elle gère 1 200 hectares de forêts réparties sur quatre réserves, achetées grâce à des dons de particuliers et des legs. Sous le label « Réserve de vie sauvage », qu’elle a elle-même créée, l’association laisse la part belle à la libre-évolution. Pour expliquer la conception de l’Aspas de la libre-évolution, Marc Giraud a ces mots : « C’est très simple, on ne fait rien ». 

Avant de partir vers la plus grande réserve de l’Aspas, avec ses 490 hectares, au cœur du Vercors, Mediavivant accueille sur scène un couple, chantres du « réensauvagement » en France, auteurs de « L’Europe réensauvagée, Vers un nouveau monde » (Acte Sud) et piliers des associations Forêts Sauvages et l’Aspas. Leur constat est optimiste : on pourrait réensauvager jusqu’à 30 millions d’hectares en Europe. Comment faire ?

Pour y répondre, les naturalistes Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet sont interviewés sur scène sur le « rewilding » (à voir en intégralité dans la vidéo).

« Pour l’efficacité de la préservation (…), il faut des grandes surfaces. Si vous avez juste une surface isolée, ça ne marche pas car il y a une consanguinité qui se met en place. Il faut des échanges entre ces sanctuaires », souligne Béatrice Kremer-Cochet.

Pour eux, l’achat d’hectares, la propriété collective, est une arme militante. « Dans une réserve naturelle, ce qui compte, c’est la propriété foncière, c’est plus fort que la préservation. On a l’exemple de la réserve naturelle des Ramières de la Drôme, où vous avez des forêts alluviales, qui sont très rares, qui ont été tronçonnées dans la réserve naturelle car c’était la propriété de quelqu’un qui était dedans. On s’est dit qu’il fallait acheter, et préserver très fortement, raconte Gilbert Cochet.  C’est un outil. Nous sommes des fantassins de la protection de la nature et on fait feu de tout bois ».

Jean-Baptiste Mouttet


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