Environnement
Partie 3 : Dépasser le conflit entre l’homme et la nature
Des organisations se mobilisent pour protéger les forêts par la propriété sans exclure les activités humaines et les habitants.
Transcription
L’enjeu de ces rachats de forêts est de parvenir à dépasser une vision de la nature comme un stock de richesse exploitable, tout en parvenant à allier les locaux au projet. Nous nous sommes intéressés à un petit fonds de dotation : Forêts en Vie.
Il dépend du Réseau pour les Alternatives Forestières (RAF) qui milite pour faire émerger d’autres pratiques de la forêt comme une sylviculture douce. Dans sa charte, il est rappelé que la forêt « ne nous appartient pas, qu’elle n’a pas besoin de nous et que nous avons besoin d’elle.»
25% des surfaces acquis par Forêts en Vie sont laissés en libre évolution. Le fonds de dotation possède une cinquantaine d’hectares de forêts répartis sur quatre propriétés à l’échelle nationale. La coordinatrice, Nathalie Naulet, espère doubler l’année prochaine. Forêts en Vie achète des terrains et via un bail forestier, le met à disposition d’associations de citoyens.
Pas question donc pour le fond d’accepter des coupes rases – l’abattage de tous les arbres sur un territoire – d’utiliser d’énormes machines qui peuvent laisser des ornières de 1,5 mètre où la nature aurait du mal à renaître, ou même de s’adonner à la monoculture. Bref, c’est à l’opposé des pratiques des fournisseurs en bois d’Ikea, comme révélé récemment par une enquête de Disclose.
Pour se rendre compte des conséquences des coupes dans les forêts, voici des photos prises au Grand Échaillon, non loin de Léoncel dans le parc naturel régional du Vercors, à proximité d’une station de ski de fond.
Nous ne sommes pas face à des coupes rases. Des souches et des bois morts sont laissés sur place. Ils vont pourrir et ainsi recréer de la vie. Mais ils ont utilisé des machines qui tracent des chemins, compactent le sol et où les repousses vont être plus difficiles.
Favoriser la régénération
Roméo Bondon va vous expliquer cela. Il est géographe. Il fait partie de l’association Sous lou Boès qui s’occupe de la forêt de Chaudeyrolles en Haute-Loire sur 3,6 hectares. Il est également administrateur de Forêts en vie. Sur un bail de 99 ans, Sous lou Boès gère la forêt selon une charte précise.
Un quart de la forêt est en libre évolution. Sur le reste du terrain, les activités humaines sont autorisées comme la sylviculture. L’association n’utilise pas de machines. Des chevaux permettent ainsi de dégager les branches coupées. « On a hérité de plusieurs espaces, comme une hêtraie, une plantation d’épicéas. Si on prélève quelques arbres dedans, on va pouvoir accélérer des changements au sein de cette plantation, explique Roméo Bondon, L’idée a été d’enlever 15 à 25% de volume de bois selon les espaces, pour faire en sorte que de la lumière arrive, donner un coup de pouce pour une régénération et aller vers une diversification. »
Il n’y a pas d’impératif économique. « L’idée était de laisser la plupart des arbres au sol, à part quelques-uns qui ont servi à deux boulangères de l’association pour leur four à bois ». Leur association mène également une mission pédagogique. Sa forêt rêvée serait « une forêt très diversifiée, en âge, en taille, en type d’essences, qui correspond au territoire (…), qu’on peut habiter de différentes façons ».
Le réensauvagement, par l’effort financier ou physique des particuliers, soulève de nombreuses questions. Il ébranle quelques concepts que l’on pensait solides : la propriété ou la nature. Il est source de conflits.
« On passe du privatif à l’inclusif »
Pour y voir plus clair, nous accueillons Antoine-Aurel Cohen-Perrot, membre du collectif Reprises de Terre, fondé « pour inventer des nouvelles tactiques foncières, politiques et juridiques » et « pour contrer l’accaparement et le saccage des terres par le productivisme ». Il a mené une étude en Haute-Savoie, pendant quatre mois, dans une vallée forestière près de Thônes où sont mis en place des pratiques de gestion douce et des « réservoirs de biodiversité ». Il a enquêté sur le réensauvagement et les conflits entre l’usage et la protection des terres dans la zone.
« Si on prend la question de la propriété avec une dimension historique, si on parle des lieux de la conservation, il y a des racines coloniales au réensauvagement des terres. Juste après l’esclavage, il y a une vision assez fantasmée de ce que serait une nature vierge privée de ses habitants et une vision, à tort, qui incriminerait les populations locales qui ne sauraient pas gérer leur environnement », souligne-t-il.
« Devant une insatisfaction partagée face à l’inefficacité des états et instances décisionnelles (…), se mobilisent tout un tas de groupes qui se demandent quels outils ils ont. La propriété privée, ça marche pas mal et c’est difficilement attaquable. Ça peut devenir inaliénable, analyse-il sur scène. Il y a des outils juridiques comme les fonds de dotation, les groupements forestiers d’investissements ou citoyens et écologiques. (…) On passe du privatif à l’inclusif ». Pour lui, il est important de nouer des alliances avec les gens du territoire comme l’ONF, les communes forestières et même les chasseurs.
Revenons à la forêt primaire, sauvage, avec ses bisons, ses biches et ses vautours fauves. Nous avons contemplé une nature libérée, en première partie. Mais est-ce que nous n’étions pas de trop?
Lors du confinement, le chant des oiseaux avait remplacé les bruits des moteurs. Les animaux sortaient au grand jour. En temps normal, se sont eux qui sont confinés, vigilants à chaque instant. Est-ce que ce ne serait pas à nous de nous faire discret ? Quand le loup avait disparu de Yellowstone, les herbivores restaient plus longtemps autour des points d’eau, sans crainte de prédateur. En broutant plus longuement, ils ont favorisé l’érosion et mis en péril les habitudes de certaines espèces comme les castors. C’est la réintroduction du loup qui a, en partie, rétabli tout l’écosystème.
À nous de comprendre où est notre place dans la nature.
Jean-Baptiste Mouttet