Environnement

La propriété pour sauver la nature

Dépasser les logiques du capitalisme par l’acquisition foncière. Au premier abord, la logique peut paraître douteuse. Pourtant, de nombreuses organisations utilisent ce levier pour protéger des forêts.

Publié le 2 Avr 2024

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Dernière mise à jour le  4 Avr 2024  à  16h14.

Par les "communs" la forêt peut être protégée. Crédit: JB.Mouttet
Par les "communs" la forêt peut être protégée. Crédit: JB.Mouttet

« Si la propriété privée permet d’exploiter, pourquoi ne permettrait-elle pas de protéger ? », s’interroge le philosophe Baptiste Morizot dans une tribune parue dans Le Monde en 2019. Elle a été publiée pour soutenir la campagne de financement du projet « Vercors Vie Sauvage » de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) que nous avons découverte lors de notre enquête sur scène « Écolos cherchent forêts à acheter ». Depuis, elle est régulièrement citée par les défenseurs du « réensauvagement » et les spécialistes du droit.

Le philosophe explique la démarche de l’Aspas par des mots simples et chamboule la vision de la propriété individuelle : « Détourner à plusieurs, dans une mobilisation citoyenne par le don, le droit exclusif de la propriété privée, non pas pour une jouissance personnelle ou une exploitation, mais pour une radicale restitution aux autres formes de vie. »

Si l’Aspas est la propriétaire, la propriété est elle-même imaginée comme « commune ». Il n’y a pas un bénéficiaire unique. Une charte établit un certain nombre de règles, comme l’interdiction de la chasse par exemple. D’autres organisations, comme le fonds de dotation Forêts en Vie du Réseau pour les Alternatives Forestières, achètent des forêts et les mettent à disposition d’associations de citoyens par un bail forestier.

Cette vision des « communs » ne concerne pas seulement les humains mais l’ensemble du vivant. « Les « communiers » mettent en commun un certain nombre de ressources qu’ils décident de gérer ensemble avec des règles. Dans la manière dont ils sont présentés dans les travaux universitaires, les « communiers » sont toujours des êtres humains. Nous sommes toujours dans cette dichotomie entre les êtres humains d’un côté et les objets de nature de l’autre. Ce qui me paraît joyeux dans l’initiative de l’Aspas, telle qu’elle est décrite par Baptiste Morizot, est que des droits sont reconnus à une série d’entités vivantes qui constituent les milieux naturels», explique la juriste Sarah Vanuxem.

La recherche de pérennité

Mais pourquoi la propriété ? Pour s’épanouir pleinement, la nature a besoin de temps, de plusieurs siècles. « La drôlerie de cette affaire, c’est que la forme la plus fiable de l’éternité qu’on connaisse en Occident libéral, c’est la propriété privée… », écrit Baptiste Morizot. Pour Nathalie Naulet, la coordinatrice de Forêts en Vie , qui défend une sylviculture douce, la propriété répond aussi à un besoin humain : « les débardeurs, les bûcherons pouvaient travailler durant des années sur une forêt et du jour au lendemain se trouver évincés. Ces gens-là n’ont pas forcément envie de devenir propriétaire individuel. » Par le montage, les propriétés du fonds de dotation échappent à toute logique financière : «Toutes nos propriétés doivent revenir à une organisation d’intérêt général à but non lucratif. Même si Forêts en vie devait s’arrêter, les forêts ne reviendraient pas dans les propriétés individuelles.»

La démarche n’est pas pour autant exempte de critiques. Elle est limitée à être « un levier parmi d’autres » comme le note, lui-même, Baptiste Morizot. Dans la revue Terrestres, le juriste Lionel Maurel poursuit la logique à une généralisation de la méthode : « À mesure que les forêts disparaitront, leur prix d’achat ne fera que flamber en vertu de la loi de la rareté, et on voit déjà se dessiner un « capitalisme vert » qui cherche à « financiariser la nature » pour extraire encore plus de valeur des derniers îlots préservés. »

L’achat de forêts peut être « une tactique » mais pas une « stratégie  de protection ».

Jean-Baptiste Mouttet


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