Petite enfance

« Les Ogres », de Victor Castanet, dénonce les crèches privées low cost

Le nouveau livre du journaliste, « Les Ogres », décrit « la voracité » du secteur privé de la petite enfance. Des révélations qui font écho à notre enquête sur scène « Le business des crèches ».

Publié le 18 Sep 2024

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Dernière mise à jour le  18 Sep 2024  à  17h26.

Suite au meurtre d'un bébé dans une crèche People&Baby à Lyon, l'Inspection générale des affaires sociales a rendu un rapport sur les dérives dans certaines crèches en France. Lyon, novembre 2023. Crédit : D. Gastaldi
Suite au meurtre d'un bébé dans une crèche People&Baby à Lyon, l'Inspection générale des affaires sociales a rendu un rapport sur les dérives dans certaines crèches en France. Lyon, novembre 2023. Crédit : D. Gastaldi

Après « Les Fossoyeurs » (Fayard), s’attaquant au business du grand âge et au géant Orpea, Victor Castanet décortique la course au profit des géants des crèches privées et les stratégies low cost. 

Cas de maltraitances, rationnements des couches ou des jouets, manque d’effectifs, course au remplissage… Ces constats n’étonneront pas les lecteurs des ouvrages parus il y a un an: « Babyzness » (Robert Laffont), et « Le Prix du berceau » (Seuil) de Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse que nous avons adapté à la scène pour Mediavivant.

Victor Castanet s’intéresse aux mécanismes d’un système à travers un groupe qui en est «le symptôme le plus caricatural» : People&Baby, un géant du secteur controversé, au coeur d’un drame avec le meurtre d’un bébé en juin 2022 dans une de ses crèches. 

Voir aussi : Le business des crèches 

Dans cet ouvrage, le journaliste dénonce en particulier le « système Durieux », le patron de People&Baby, sa folie des grandeurs et sa guerre concurrentielle avec Babilou jusqu’à aller lui voler des fichiers clients. Il raconte sa fuite en avant face à un endettement colossal qui l’a mené à sa perte, lorsque le fonds de dettes Alcentra décide de le destituer au printemps dernier. Le journaliste a récupéré des audits de KPMG, des témoignages de cadres et des documents internes.  Face à ces nouvelles révélations, le groupe People&Baby, ne s’exprime guère et promet des audits indépendants, selon France Télévisions. 

Les défaillances de l’État

L’inaction de l’Etat et des institutions face à ces empires des berceaux sont mis en lumière une nouvelle fois, après deux ans de scandales. L’auteur analyse les méthodes de certains acteurs du secteur pour déclarer de fausses heures de présence de bébés et toucher plus d’argent public.

Comme les précédents ouvrages, « Les Ogres » met en avant le manque de contrôles des lieux d’accueil des enfants. Dans un communiqué, les Caf et la Cnaf assurent avoir «renforcé leurs contrôles dans les crèches» et People&Baby serait « trois fois plus contrôlés que les autres groupes ». 

Lire aussi : Qui pour contrôler les crèches ?

En 2004, la mise en place de subventions en faveur des organismes privés du secteur de la petite enfance, conjuguée à des déductions fiscales octroyées aux entreprises qui proposent des solutions de gardes à leurs employés, fait exploser le marché privé.

Le secteur devenu concurrentiel engendre une course aux prix. Les coûts sont réduits au maximum dans certaines crèches, quitte à rogner sur la masse salariale ou la qualité parfois, au risque de la sécurité des enfants. Victor Castanet s’interroge. « Je ne parvenais pas à comprendre le sens de la trajectoire de People&Baby, je me demandais pourquoi une personnalité comme Christophe Durieux se battait avec tant de vigueur pour faire grossir un groupe non rentable  » écrit-il. Il découvre que le couple Durieux achète des locaux via leur société immobilière « qu’ils louent ensuite à leur entreprise ». Une mine d’or.

Une ministre épinglée

Ces pratiques, qui profitent de l’argent public, ne provoquent pas pour autant les foudres du gouvernement. Après des premières révélations de Mediapart et la Lettre A, l’enquête dévoile un jeu d’influence entre Aurore Bergé, l’ancienne ministre des Solidarités et de la Famille (juillet 2023-janvier 2024), et Elsa Hervy, la responsable du « lobby » des crèches, la puissante Fédération française des entreprises de crèches (FFEC). Grâce à des fuites du côté du ministère, Victor Castanet découvre des échanges écrits avec des éléments de langage et « un pacte de non-agression » pour éviter le scandale, face à la publication d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pointant les dysfonctionnements des crèches et la sortie de deux livres d’enquête. Le journaliste résume ainsi : « Les géants du secteur se gardent de taper sur le gouvernement et de mettre en cause la politique petite enfance suivie ces dernières années en échange de quoi le gouvernement saura faire preuve de mansuétude ». Aurore Bergé dément tout “copinage”. 

La FFEC, se défend dans un communiqué publié le 16 septembre, sans mentionner cet arrangement avec le ministère. La Fédération fait part de « son indignation » face à « la maltraitance à l’encontre de jeunes enfants ». Elle souligne que  People&Baby ne fait plus partie du FFEC depuis 2011, tout en rappelant les priorités de la fédération comme, par exemple, faire face au manque de professionnels par un plan de formation en urgence ou mettre en place des contrôles annuels.

Un scandale à répétition

En 2023, la sortie des livres « Le Prix du berceau » et « Babyzness » et, peu de temps après le rapport accablant de l’IGAS,  avaient provoqué la mise en place d’une commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants. Les conclusions appellent à « remettre à plat un système qui est arrivé à bout de souffle » sans pour autant identifier que les défaillances étaient dues à l’ouverture du marché au secteur privé, au grand dam du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE).  

Les professionnels de la petite enfance espèrent que l’ouvrage de Victor Castanet amènera plus rapidement à la création d’un service public. « La marchandisation n’a rien à faire dans la petite enfance », dénonce Véronique Escames, co-secrétaire générale dans un entretien au Huffington Post. « Emmanuel Macron a accéléré la déréglementation du secteur de la petite enfance et a accentué sa dégradation, clairement. Il a promis un service public de la petite enfance et un certain nombre de places en crèches, mais pour l’instant il n’a pas dit quels professionnels il allait trouver pour les encadrer, ni avec quelle formation » dit-elle.

Alors que s’ouvre, le 23 septembre à Lille, le procès de deux salariées du groupe  People&Baby accusées de maltraitance dans une crèche de Villeneuve d’Ascq (Nord), le livre-enquête de Victor Castanet sonne comme un nouvel espoir pour accélérer les réformes.

La rédaction


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