Petite enfance

Crèches : de nouvelles recommandations face à un système « à bout de souffle »

Suite aux dérives dénoncées, le système de financement des crèches et les conditions de travail doivent être revus, selon un rapport de la commission parlementaire. La course aux berceaux menée par le secteur privé à but lucratif reste au cœur des débats.

Publié le 10 Juin 2024

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Dernière mise à jour le  10 Juin 2024  à  15h56.

Le 19 octobre 2023, une manifestation nationale était organisée par le mouvement Pas de bébés à la consigne. Marseille. Crédit : D. Gastaldi
Le 19 octobre 2023, une manifestation nationale était organisée par le mouvement Pas de bébés à la consigne. Marseille. Crédit : D. Gastaldi

C’est une bataille de communication et de rapports sur la situation des crèches, depuis le meurtre d’un bébé à Lyon en juin 2022 et le séisme que cela a provoqué dans le secteur qui dénonce depuis des années des « usines à bébés » en France.

Au tour de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants de livrer ses recommandations, après six mois de travail. Dans son rapport voté le 27 mai 2024, la rapporteure Sarah Tanzilli (Renaissance), dont le parti avait voté contre le principe de cette commission, explique qu’il faut « remettre à plat un système qui est arrivé à bout de souffle ».

Parmi les temps forts, les députées ont auditionné les grands groupes de crèches – Les Petits Chaperons rouges, Babilou, La Maison Bleue et People&Baby – ainsi que des fonds d’investissement qui ont expliqué leur objectif de « doubler » leur mise de départ, tout en assurant vouloir garantir la qualité d’accueil dans les crèches. Il y a un an, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales soulignait déjà les zones de risques face à ce milieu très concurrentiel, avec une  domination de grands groupes, l’arrivée de fonds d’investissement et une stratégie de bas prix : « Comme dans le secteur des personnes âgées, la régulation insuffisante du secteur marchand peut laisser prospérer des stratégies économiques préjudiciables à la qualité d’accueil », pouvait-on y lire.

Suite aux auditions, la rapporteure estime à ce stade que « les défaillances identifiées n’étaient pas la conséquence de l’ouverture du secteur des crèches au secteur privé et de la financiarisation du secteur ». « Il me semble vain d’opposer les crèches privées  aux crèches publiques ou associatives », abonde le président de la commission Thibault Bazin  (Les Républicains), dont le parti avait voté contre cette commission d’enquête

Une conclusion dont se félicite le lobby des crèches, porté par la Fédération française des Entreprises de crèches ( FFEC). Cette affirmation est dénoncée par le Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE) : « Contrairement aux affirmations de la rapporteure, l’introduction du secteur privé lucratif a exacerbé les problèmes systémiques en augmentant le nombre d’enfants pris en charge avec moins de professionnel·les qualifié·es », défend le syndicat.

Or, la députée Sarah Tanzilli recommande de supprimer des mesures qui boostent justement le secteur marchand. Elle suggère de « supprimer le mécanisme de réservation des berceaux par les employeurs ». Ce système de réservation pour les salariés d’entreprises, et les importantes aides fiscales accolées, est une manne d’argent pour les crèches privées et a contribué au développement de multinationales. La rapporteure juge que ce système est un « coupe-file pour ces enfants plus rentables que les autres ». Ce mécanisme est considéré comme une inégalité d’accès à un service, d’autant plus dans un secteur qui ne pourrait vivre sans argent public.

Sarah Tanzilli dénonce également le Crédit d’Impôt Famille (CIFAM) qui « entraîne des frais de commercialisation élevés, via des brokers de berceaux », c’est-à-dire des grossistes en berceaux qui jouent les intermédiaires dans l’achat et la revente de places. « L’argent public n’a pas vocation à rémunérer des commerciaux », détaille-t-elle. 

Sur cet aspect, le SNPPE partage l’avis de la commission : « La marchandisation du secteur de la petite enfance n’est pas la cause unique des défaillances, mais le CIFAM, symbole de cette financiarisation, est vivement critiqué. »

De son côté, le lobby des crèches s’insurge de cette proposition. « La suppression du CIFAM entraînerait donc la destruction inéluctable des places d’accueil proposées », menace la FFEC. « 150 000 places de crèches disparaîtront si la réservation par les employeurs est supprimée », estimait la FFEC dans un communiqué avant la publication du rapport.

Un contre-rapport présenté par le député William Martinet (LFI), à l’origine de cette commission d’enquête, dénonce la marchandisation accélérée du secteur et ses dérives depuis vingt ans, la dérégulation ou le « surfinancement public ». « Le très haut niveau de rentabilité permis par le système a attiré des fonds d’investissements et créé plusieurs grandes fortunes », explique-t-il. Le député insoumis propose de « geler les ouvertures de places dans le secteur privé lucratif »  et « la réorientation des financements vers l’ouverture de places dans le public ». William Martinet souhaite qu’une place en crèche devienne un droit garanti pour les familles, comme dans certains pays du Nord de l’Europe.

Des points font plus consensus comme la nécessité qu’un adulte gère 4 enfants au lieu de 6 actuellement, de former et de revaloriser les salaires. Tout le secteur est concerné aussi par le cercle vicieux du système de financement et le besoin de remettre à plat la Prestation de service unique (PSU) de la CAF. Mise en place il y a dix ans, cette PSU est calculée à l’heure et non plus au forfait à la journée. Ces subventions poussent au final les crèches, privées comme publiques, à une course au remplissage, même en heures creuses. 

Au-delà des effets d’annonce, les acteurs du terrain attendent de savoir comment ces mesures seront mises en place. Suite à la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée ce 9 juin, le SNPPE se mobilise pour que « la petite enfance ne soit pas négligée dans cette campagne express » des législatives anticipées. Un bouleversement politique supplémentaire alors qu’un service public de la petite enfance doit être instauré. 

Daphné Gastaldi

Note de la rédaction

L’auteure de cet article a été auditionnée le 31 janvier par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leur établissement, suite à la parution de son livre d’enquête co-écrit avec Mathieu Périsse « Le prix du berceau, ce que la privatisation des crèches fait aux enfants » (Seuil), et aux côtés des auteures d’un second livre « Babyzness ».


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