Petite enfance

Partie 2 : Revoir le système des crèches

Fin novembre, l’Assemblée nationale a voté pour une commission d’enquête sur les crèches. La députée Renaissance Michèle Peyron, qui a rendu 54 recommandations sur le secteur, a pourtant voté contre.

Publié le 3 Jan 2024

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Dernière mise à jour le  13 Fév 2024  à  17h02.

Transcription Partie 2

Après la sortie du livre « Le Prix du berceau », révélant des maltraitances ou des manques de repas dans certaines crèches privées, les salariés ont eu la surprise de recevoir des mémos avec des éléments de langage à tenir face aux parents,  comme au sein du groupe Les Petits Chaperons Rouges. Pour répondre aux questions des familles, voici les réponses toutes faites recommandées : « Je comprends votre inquiétude. Ce livre ne reflète absolument pas la réalité et le quotidien dans nos crèches. » Ou alors : « Je comprends votre inquiétude. Notre politique, c’est un repas par enfant présent et autant de couches que besoin ».

Il faut savoir que des agences de communication, spécialisées dans la gestion de crise comme Images 7, Taddeo ou Havas, ont été sollicitées par des chaînes de crèches pour passer la vague de ces révélations. L’enjeu financier est colossal pour ces empires des berceaux. En vingt ans, de petites PME sont devenues des grands groupes voire des multinationales pour certaines. Leur développement dépend en grande partie de l’argent public. Ce sont les impôts qui subventionnent le prix d’une place de crèches mais aussi la construction d’établissements.

Mais qui pour les contrôler ?

La Protection Maternelle et infantile, qui joue un rôle de « police des crèches », est en souffrance. Un quart des PMI n’a même pas un employé à temps plein pour contrôler ces structures. Leurs contrôles portent surtout sur des questions de sécurité, de bâtiment et d’hygiène. Difficile de repérer des maltraitances ou un rationnement des repas, en restant quelques heures à peine sur place.

Après le meurtre d’un bébé dans une micro-crèche en 2022, la PMI a fait une descente surprise dans les trente-cinq crèches du groupe People&Baby à Lyon, révélant dans certains cas des manques de formation du personnel, une plainte déposée par des parents sans qu’ils aient été avertis, ou des équipes instables. Mais la plupart du temps, les inspections sont annoncées et permettent aux structures de se préparer, en se mettant aux normes pour afficher une plus belle vitrine.

Ces derniers mois, la situation a évolué. Les ministres successifs Jean-Christophe Combe puis Aurore Bergé, ministre des Solidarité et des Familles,  appellent à « une culture du contrôle ». Les préfets ont été sollicités.

La nouveauté est la création d’un service public de la petite enfance. Le gouvernement a promis aussi 200 000 places en plus d’ici 2030, ce qui paraît intenable pour tous les acteurs du terrain. La ministre Aurore Bergé a annoncé une enveloppe de 200 millions d’euros pour revaloriser les salaires, à condition que les entreprises prennent des engagements plus forts sur la qualité d’accueil. Elle souhaite aussi  qu’il n’y ait jamais d’adulte seul avec les enfants, et moins d’enfant par adulte à gérer. Reste à savoir comment cela sera mis en place. Le cabinet de la ministre Aurore Bergé n’a pas répondu à nos demandes d’interview.

Une commission d’enquête perturbée

Une commission d’enquête, initiée par le député de la France Insoumise William Martinet, a été votée de justesse par l’Assemblée nationale le 28 novembre. Son objectif premier était d’analyser les dérives de la financiarisation du secteur qui peut retomber sur les salariées et les enfants, pris malgré eux dans une course au remplissage et au profit. L’autre objectif était de suivre l’argent public : « Que devient 1 euro de subvention donnée par la CAF ou le crédit impôt famille dans une crèche ? », veut comprendre le député. Pour William Martinet, il est temps « d’ouvrir la boîte noire des grands groupes de crèches». « N’attendons pas que sorte un scandale qui soit un Orpea de la petite enfance », a-t-il demandé à l’Assemblée nationale mi-novembre. 

Par esprit de compromis, la commission va enquêter sur les crèches publiques. C’était une demande du groupe Renaissance et des Républicains, qui ont malgré tout voté contre sa création. Le député William Martinet a été écarté de la tête de la commission. Il en restera vice-président mais au pouvoir réduit. Les deux postes les plus importants ont été attribués à des députés opposés à cette commission : Sarah Tanzili (Renaissance), la rapporteure, et Thibault Bazin (LR), qui en sera le président. Cette décision fait craindre aux professionnels du secteur que la commission d’enquête finisse enterrée.

Parmi les membres de cette commission, se trouve Michèle Peyron, députée Renaissance en Seine-et-Marne depuis 2017, qui en sera conseillère auprès de la rapporteure. Elle est entrée en politique avec le mouvement d’Emmanuel Macron En marche, à 56 ans, après avoir fait toute une carrière dans le secteur privé, dans le bâtiment. En 2019, elle a rendu un rapport sur la Protection Maternelle et Infantile (PMI) en souffrance, dont une des missions est de contrôler les crèches. Récemment, elle a participé à une mission flash sur les crèches. Avec la députée socialiste Isabelle Santiago, elles ont fait 54 recommandations  afin de lutter contre la déréglementation du secteur, début novembre. Dans ce rapport, il est écrit que les crèches privées se sont « développées, avec des modèles de rentabilité qui tiennent difficilement compte des besoins fondamentaux des enfants, dans une logique de […] profitabilité ».

Mais sa position officielle est qu’ il ne faut pas jeter l’opprobre sur le secteur privé. Comme les députés de son parti, elle a voté contre la commission d’enquête. Un écart entre ses recommandations et sa posture politique.

Interviewée sur scène, Michèle Peyron évoque cette contradiction. « Ce n’est pas facile de faire un grand écart en politique surtout quand on reconnaît qu’il y a des dérives qui mettent en danger les enfants qui sont confiés à ces crèches, ces grands groupes mais pas seulement », commence la députée Renaissance. Pour elle, « vouloir s’attaquer simplement à la financiarisation des crèches privées » n’était pas suffisant, d’où son rejet de la commission. « Il y a d’autres manières de faire plier les crèches privées », estime-t-elle.

Tout au long de l’interview, elle reprend deux axes d’action défendus par la ministre des Solidarités et des Familles Aurore Bergé (Renaissance) : le contrôle et la formation. Parmi les 54 recommandations faites dans son rapport, Michèle Peyron revient sur le fait « qu’il y ait d’abord du contrôle ». La députée estime qu’il y avait besoin de créer des crèches privées pour pallier à la pénurie de places, mais regrette un développement rapide sans cadre suffisant, notamment pour les micro-crèches, depuis l’ouverture du marché aux entreprises à but lucratif en 2004 : « ça s’est développé en veux-tu en voilà, sans contrôle ». Pour la députée, les inspections doivent se faire également au niveau du siège : « il peut il y avoir des contrôles financiers », insiste-t-elle, en faisant référence au scandale des grands groupes de maisons de retraite dont l’entreprise Orpea qui a été sommée de rembourser 56 millions de subventions à l’Etat.

Dans le rapport de sa « mission flash » sur les crèches avec la députée socialiste Isabelle Santiago, il est recommandé que le ratio de titulaires d’un diplôme d’Etat passe à 60% par établissement contre 40% actuellement. Michèle Peyron émet le souhait qu’il n’y ait plus d’intérimaires parachutées dans les crèches, ni de personnel non qualifié « pour boucher les trous », ni de formations en ligne pour les CAP Petite enfance.

« L’enfant doit être considéré, doit être au centre des préoccupations et pas un enfant laissé en garde. Il faut que le moment passé en crèche soit pour lui un moment de développement », dit-elle sur scène à Mediavivant.

Dans la salle, les syndicats ou formateurs de professionnels de la petite enfance attendent de savoir avec quels moyens un véritable service public de la petite enfance sera mis en place.

Daphné Gastaldi

A suivre : Dans la dernière partie (à paraître le 9 janvier), deux directrices de crèches, associative et privée, témoignent. En tant que membres du Syndicat national des professionnel.le.s de la petite enfance (Snppe), elles réagissent aux annonces du gouvernement et à la nouvelle tournure que prend la commission d’enquête sur les crèches.


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