Inégalités dans la santé

Partie 1 : Des maux ignorés

Les maladies qui touchent plus les femmes sont sous-financées et des souffrances demeurent méconnues. Sur scène, Margaïd Quioc raconte les errances des patientes.

Publié le 21 Sep 2023

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Dernière mise à jour le  9 Déc 2023  à  18h33.

Transcription :

En moyenne, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Pourquoi ? Les chercheurs et chercheuses mettent en avant des facteurs sociaux et culturels. Les hommes ont plus de pratiques à risque, comme la consommation d’alcool et de tabac.

De leur côté, les femmes seraient plus attentives à leur corps et mieux informées sur les questions de santé. Elles vivent donc plus longtemps. Mais plus longtemps en mauvaise santé.

Un rapport remis en 2020 par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le rappelle. Aujourd’hui, les femmes ont plus de risques de mourir d’une maladie cardiovasculaire. Car elles sont moins bien prises en charge que les hommes.

Pour le Haut conseil à l’égalité, la médecine n’est pas qu’une question d’organes et de biologie. C’est aussi une question sociale. Le genre des patients et patientes a une influence sur les soins qu’on leur apporte.

Les femmes sont confrontées dans leurs parcours de soin à de nombreuses discriminations, qui ont un impact direct sur leur état de santé.

L’endométriose 142 fois moins financée que le diabète

Pour un homme migraineux, il y a trois femmes qui souffrent de ce même maux. Cette maladie est mal prise en charge et dévalorisée. Les femmes qui en souffrent sont parfois soupçonnées d’exagérer leurs symptômes, d’être douillettes, trop fragiles… Historiquement, les « bonne normes » physiologiques sont celles des hommes. Les équipes de recherche médicale sont encore aujourd’hui souvent dirigées par des hommes. Les maladies principalement féminines intéressent peu la recherche médicale.

En France, il n’existe pas de données précises sur les biais genrés de la recherche. Aux États-Unis, le chercheur indépendant Arthur Mirin démontre  en 2018 que des maladies comme l’anorexie, l’endométriose, et les migraines sont sous-financées par rapport au fardeau qu’elles représentent. Ce sont des maladies majoritairement féminines. Au contraire, la recherche sur des maladies plus masculines comme le VIH, l’hépatite et la tuberculose est sur financée par rapport à leur impact sur la vie des patients.

Le VIH a reçu 3 milliards de dollars en 2019 … Contre 170 millions seulement pour le cancer des ovaires, qui représente un fardeau similaire pour les patientes américaines.

Est-ce que la recherche se concentre sur les maladies les plus répandues? Ce n’est pas le cas. Prenons l’exemple du diabète et de l’endométriose. Le diabète est une maladie qui touche tous les genre à égalité. Aux États-Unis, il y a autant de femmes souffrant de diabète que de femme touchées par l’endométriose.

En 2018, 1 milliard de dollars a été investi dans la recherche contre le diabète aux États-Unis. L’endométriose qui touche pourtant une femme sur 10 n’a concentré que 7 millions de dollars… soit 142 fois moins.

L’endométriose une maladie sous les radars

L’endométriose est une maladie qui prend racine dans l’utérus… Cet organe dit « féminin » est à l’origine du mot « hystérique ». 

Dans un cycle menstruel normal, l’endomètre se développe dans l’utérus en prévision d’une grossesse puis, en l’absence de fécondation, est évacué par les règles. Chez les patientes atteintes d’endométriose, des tissus d’endomètre s’accrochent en dehors de l’utérus, sur l’appareil reproductif, la vessie, les ligaments, parfois sur les intestins, les poumons, générant souvent des douleurs handicapantes.

Les médecins tardent généralement à poser un diagnostic. Le délai moyen est de 7 ans. Parmi les causes de cette errance médicale : le manque de connaissance de la maladie par le personnel soignant, les médecins, les gynécologues et les échographistes. Les lésions, difficiles à déceler, ne sont pas vues par les professionnels.

Cette maladie chronique n’est pas mortelle mais elle peut provoquer des saignements abondants, des douleurs, des problèmes digestifs et causer de l’infertilité dans les cas les plus graves.

« On ne va pas y arriver comme ça, mademoiselle »

À La clinique Bouchard à Marseille, il existe des « consultations endométriose ». Un service né d’une start-up de santé nommée Luna et fondée par des gynécologues.

Dans le couloir blancs, des jeunes femmes de moins de 25 ans patientent sur des chaises. Certaines tiennent une échographie de leur utérus à la main. Malgré leur jeune âge, certaines souffrent parfois depuis plus de 10 ans. Elles espèrent enfin comprendre pourquoi les crampes au ventre, au dos, aux jambes, les vomissements les empêchent de vivre normalement. Elles sont reçues par la sage-femme Carole Zakarian 3 demi-journées par semaine. Elle écoute les maux de chacune pendant plus d’une demi-heure.

Les patientes viennent de Marseille, et des villes alentours : Martigues, Aubagne…Par visioconférence, des patientes appellent de Bretagne, d’Alsace et même une fois depuis le Cameroun.

Pour la plupart des jeunes femmes, ce n’est pas la première fois qu’elles consultent pour leurs douleurs de règles. Mais c’est la première fois qu’une professionnelle de santé les écoute vraiment. Lors des consultations, certaines témoignent de violences médicales.

Comme cette jeune femme qui se plaint de douleurs lors des rapports sexuels, l’empêchant de faire l’amour avec son compagnon. Un précédent gynécologue, dans une autre établissement, a d’abord plaint son compagnon avant de lui faire subir un examen par voie endoaginale durant lequel elle se crispe, pleure.  « On ne va pas y arriver comme ça mademoiselle », lui a-t-il rétorqué.

Auprès de Carole Zakarian, les patientes racontent les conséquences des douleurs sur leur vie quotidienne et professionnelle. Celle-ci reste à l’hôtel pendant ses vacances, pliée de douleur alors que sa famille va s’amuser toute la journée. Cette autre est incapable de marcher jusqu’à la voiture après une soirée au restaurant. Une étudiante a préféré s’inscrire à un BTS par correspondance. Elle craint ne pas pouvoir rester assise toute la journée en cours.

Dès que Carole Zakarian pose le diagnostic d’endométriose, le soulagement se lit sur les visages. La sage-femme rajoute toujours cette phrase « c’est pas dans votre tête ».

« Un an jour pour jour, après cette opération, j’ai eu mon premier fils »

Son arsenal thérapeuthique est très limité… Aucun laboratoire ne s’est pour l’instant intéressé à cette maladie et il n’existe aucun médicament spécifique pour soulager les douleurs. Carole peut prescrire la pilule contraceptive en continu ou des hormones qui mettent en pause le cycle menstruel. Les patientes n’ont plus de règles et souvent moins de douleurs, mais ce n’est pas efficace à 100%. Toutes les femmes ne peuvent pas non plus prendre la pilule. 

Carole Zakarian conseille alors des séances d’ostéopathie. Elles coûtent 60 euros la séance et ne sont pas remboursées. Elle peut aussi inviter à suivre un régime afin d’éviter les protéines animales, le lait ou encore les céréales transformées qui favorisent l’inflammation de l’endométriose. C’est une contrainte de plus qui s’impose aux femmes faute d’un traitement efficace. 

Cette maladie oubliée par la médecine des hommes a des répercussions sur la vie intime. Sur scène à Mediavivant, Sidonie Canetto, journaliste, vient témoigner. Elle raconte « les douleurs insupportables » lors de ses règles. Elle ne parvient pas à avoir d’enfants. Quatre ans après, le diagnostic de l’endométriose est enfin posé. Pourquoi un diagnostic si tardif? Pour son médecin, cela s’explique par le fait que ses confrères «ne connaissent pas l’existence de cette maladie ». Elle subit une opération. « Un an jour pour jour, après cette opération, j’ai eu mon premier fils », raconte-t-elle sur scène.

Une mobilisation qui ne suffit pas

Faute d’une prise en charge vraiment efficace de l’endométriose, les patientes gèrent leur douleur comme elles peuvent. Certaines se tournent vers des charlatans de la médecine. Des livres que l’on retrouve dans les bibliothèques et librairies décrivent l’endométriose comme une blessure du féminin sacré et vantent une auto-guérison par la force du mental…

Heureusement, depuis quelques années, grâce à la mobilisation d’associations de patientes comme Endofrance, l’endométriose sort de l’oubli. Très lentement, le tabou se brise autour des douleurs du cycle menstruel.

Le gouvernement a engagé 20 millions d’euros pour améliorer la prise en charge de cette maladie. Des outils à destination des malades se développent. La start-up de santé Luna a développé une application qui permet de s’auto-diagnostiquer, et dirige les patientes vers des professionnels de santé formés à l’endométriose.

Le docteur Jean-Philippe Estrade, gynécologue, fait partie des cofondateurs de Luna. Au fil de sa carrière, il s’est spécialisé dans le traitement de cette maladie. Malgré les progrès récents, il ne voit pas d’amélioration sur le terrain.

Selon lui, les soins apportés aux femmes sont de moins bonne qualité par méconnaissance des pathologies dites féminines mais surtout par manque d’écoute des professionnels de santé. Il conclut :  «Renvoyer une femme qui a mal chez elle en disant que c’est normal, c’est violent. Cette inégalité vient surtout de la culture. On a été formé avec la culture de l’écoute masculine. Il faut changer le regard sur les soins à apporter aux femmes

Margaïd Quioc


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