Inégalités dans la santé

Partie 2 : L’impact des stéréotypes de genre

Du scandale du Mediator à cette femme qui n’a pas été secourue à temps, les idées reçues du personnel soignant peut avoir des conséquences dramatiques.

Publié le 28 Sep 2023

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Dernière mise à jour le  30 Sep 2023  à  10h36.

Transcription:

Changer le regard et les pratiques en chaussant «les lunettes du genre». Cette expression est utilisée par les chercheurs et chercheuses pour désigner le regard qui révèle les inégalités de genre partout où elles se trouvent.

Les filles souffrent ainsi souvent d’un retard de diagnostic de l’autisme. Les symptômes sont pourtant les mêmes que ceux des petits garçons. Leur interprétation est influencée par les stéréotypes de leur entourage et des soignants.

«Chez les jeunes enfants, le retrait sur soi, le défaut d’interactions sociales seront plus facilement considérés chez une fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes seront davantage interprétées comme un indice de trouble de communication chez les garçons » relève le rapport «Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique» du Haut conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Chausser les lunettes du genre permet de porter un autre regard sur les plus grands scandales de santé. Le Mediator était présenté par le laboratoire Servier comme un antidiabétique et été prescrit comme un coupe-faim entre 1976 et 2009. Il reposait sur une molécule toxique, proche des amphétamines.

Ce médicament provoque des maladies comme la valvulopathie cardiaque, une déformation des valves qui permettent au cœur de fonctionner, ou l’hypertension artérielle pulmonaire. C’est la maladie du cœur qui s’essouffle, une maladie rare et dont on ne guérit pas. Mille à 2000 personnes sont mortes et des milliers d’autres sont aujourd’hui malades.

Le Mediator et «le mépris de genre»

Lors du procès en appel du laboratoire Servier qui s’est tenu entre janvier et juin 2023, il y avait principalement des femmes sur les bancs des parties civiles. Elles représentent 70% des victimes du Mediator. Pourquoi ce médicament a-t-il tué autant de femmes ?

Irène Frachon, la pneumologue qui a lancé l’alerte et révélé le scandale nous a expliqué pourquoi les femmes ont été les principales victimes du coupe-faim. C’est aux femmes que notre société demande de maigrir ou à qui on diagnostique un «pseudo diabète vers 50-60 ans». «Une fois reconnue comme victime, on préfère dire que c’est parce qu’elles sont grosses plutôt que malades du Mediator. Il y a trois discriminations dans l’affaire du Mediator : le surpoids, ce qu’on appelle la grossophobie, un mépris de classe et de genre.»

Lors du procès en appel, le parquet général a réclamé contre le laboratoire Servier le paiement de près de 200 millions d’euros. La décision sera rendue le 20 décembre.

La santé et les questions de genre sont liées. Mais les professionnels du secteur sont encore peu formés à ces questions. Aucune sensibilisation obligatoire n’existe pendant les études de médecine en France.

Ce n’est pas le cas de la Suisse. En 2016, le pays a remis à jour les objectifs d’apprentissage dans ses six facultés de médecine. Les étudiants reçoivent  au minimum 2 heures d’enseignements sur des questions liées au genre. L’université de Lausanne est l’exemple le plus abouti. Elle s’est dotée d’une unité de recherche genre et santé.

Apprendre à lutter contre ses idées reçues

Tous les étudiants suivent une dizaine d’heures dédiées au genre pendant leur cursus, dont un cours de sensibilisation à la question du harcèlement sexiste et sexuel et des violences de genre. Ils sont également invités à réfléchir à leurs propres stéréotypes. En quatrième année, de retour de stage pratique, ils reprennent un cas clinique et s’interrogent : quel est l’impact du genre du ou de la patiente sur la prise en charge ?

Les étudiants et étudiantes observent des différences de traitements : on pose des questions sur l’environnement familial aux femmes et sur l’environnement professionnel aux hommes. Des antidouleurs moins forts sont prescrits aux femmes. Elles ont la réputation d’être plus douillettes. Les soignants sont plus attentifs aux effets secondaires qu’elles pourraient subir. Ces stéréotypes sont lourds de conséquences quand ils engagent un pronostic vital.

Carole Clair, co-directrice de l’unité genre et santé de l’université de Lausanne et médecin, raconte avoir elle-même été victime de ses propres stéréotypes. Au début de sa carrière, aux urgences, elle aurait pu passer à côté de l’infarctus d’une femme de 40 ans d’origine kosovarde. «On a été formé à être paternaliste et c’est aussi ça qui est compliqué à déconstruire », dit -elle.

Le 29 décembre 2017, Naomi Musenga, une jeune femme de 22 ans appelle le Samu de Strasbourg. D’une voix faible, elle se plaint de douleurs abdominales. Elle dit qu’elle va mourir. À l’autre bout du fil, l’opératrice lui rit au nez : «Tout le monde meurt un jour» et raccroche. La jeune femme rappelle les secours et est finalement prise en charge.  Elle meurt cinq heures plus tard. C’est le syndrome «méditerranéen», un stéréotype qui conduit les soignantes et soignants à penser que les personnes noires et arabes, surtout les femmes, ont tendance à exagérer leurs symptômes.

L’enquête sur scène «Les femmes discriminées par la médecine» se poursuit la semaine prochaine, le 12 octobre avec la troisième partie : La précarité.

Margaïd Quioc


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