Inégalités dans la santé

Partie 3 : La précarité des femmes

Malgré la sécurité sociale en France, il est difficile d’accéder à un médecin lorsqu’on vit dans un quartier populaire, reculé et d’autant plus quand on est une femme.

Publié le 5 Oct 2023

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Dernière mise à jour le  9 Oct 2023  à  8h51.

Transcription

Il n’y a pas que le genre ou la race qui perturbent la prise en charge médicale. La pauvreté est sans doute le plus gros frein à une vie en bonne santé. Les personnes les plus précaires sont en majorité des femmes. Elles représentent l’écrasante majorité des familles monoparentales : 85% selon l’Insee. Plus d’un tiers de ces familles vit sous le seuil de pauvreté, fixé à 1 430 euros pour une femme élevant seule un enfant. Elles représentent également 70% des travailleurs pauvres.

Cela s’explique par le recours au temps partiel qui concerne davantage les femmes. Elles sont également sur-représentées dans ce que l’on appelle les métiers du care, des métiers essentiels au bon fonctionnement de la société mais souvent dévalués et mal payés. Elles sont aide-soignantes, assistantes maternelles, femmes de ménage, caissières dans les supermarchés.

Des métiers pénibles, dans lesquels elles sont exposées au port répétitif de charges lourdes comme porter les enfants, les malades, les personnes âgées dont il faut prendre soin. Elles sont exposées aux produits toxiques pour nettoyer ou souffrent de troubles musculosquelettiques, ces douleurs et raideurs chroniques provoquées par des tâches répétitives.

Pourtant, ces facteurs de pénibilité des métiers féminins sont mal pris en compte par la société. En 2017, bien avant la réforme des retraites de 2023, les ordonnances Macron ont exclu plusieurs facteurs de pénibilité pouvant permettre de prendre une retraite anticipée : la manutention manuelle de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux risques chimiques. Autant de facteurs qui ressemblent à ceux subis par les femmes de ménages ou les aide-soignantes.

La société prend moins bien en charge les maladies professionnelles des femmes ce qui les pousse parfois à ralentir, à travailler moins à cause de ce corps endolori, et donc à gagner moins bien leur vie et à s’enfoncer encore plus dans la précarité.

Déserts médicaux

Cette précarité est aussi une barrière pour consulter un professionnel de santé. Comment faire quand on n’a pas d’argent et qu’on vit dans un désert médical ? Yasmine Charfi est médiatrice de santé dans les quartiers nord. Elle travaille à Marseille  pour l’association SEPT, née pendant la crise du Covid. Les médiateurs, les infirmiers et médecins de cette association vont à la rencontre des habitants directement chez eux, pour  rendre la médecine accessible.

Dans son quotidien, elle voit de nombreuses femmes renoncer, par exemple, au dépistage du cancer du col de l’utérus, un frottis qui est pourtant remboursé à 100% par la sécurité sociale, comme à Saint-André dans le 16e arrondissement de Marseille qui manque de gynécologue.  « J’ai pris des rendez-vous avec une sage-femme pour une quarantaine de femmes pour des frottis, explique-t-elle. Il fallait avancer l’argent, 39 euros pour la consultation et 41 euros en plus pour le laboratoire. Des dames m’ont appelée et m’ont dit “je ne peux pas payer, je dois remplir le frigo pour mes enfants” ».

Il manque des gynécologues dans les quartiers mais aussi dans les départements ruraux. En France, dans 13 départements sur 100, il n’y a aucun praticien spécialisé en gynécologie médicale. Ce chiffre est issu d’un rapport du sénat sur les inégalités d’accès au soin entre hommes et femmes en milieu rural

Un bus dans les quartiers pauvres

Sur scène, Ouardia Tihilt et Farida Elhmoudi Chaïbi, la soixantaine, montent pour témoigner. Toutes les deux ont grandi et vécu dans un bidonville du 16e arrondissement de Marseille, à l’Estaque, jusqu’en 1993. Leurs parents sont originaires de Kabylie en Algérie pour Ouardia et de Tunisie pour Farida.  Interviewées par Margaïd Quioc, Farida se rappelle les longs trajets à pied pour traverser le quartier jusqu’au centre médical de Saint-André, pour un vaccin pour le BCG ou la polio.

Ouardia dénonce la «misère des quartiers Nord». « On a eu la chance pendant la pandémie de rencontrer l’association Sept pour faire des tests Covid. Sinon, on aurait été à l’abandon », déplore-t-elle. Cela fait longtemps qu’elle n’a pas vu un ophtalmologue, un gynécologue ou un dentiste. « Il me manque toutes les dents du bas mais je n’ai pas les moyens de payer des implants (…).Il faut être milliardaire », raconte-t-elle.

L’association Sept a mis en place un bus médical qui sillonne les quartiers Nord pour rendre accessible les soins pour les habitants. Les femmes peuvent par exemple y réaliser un frottis, en prévention du cancer du col de l’utérus. Ce genre d’initiative se développe un peu partout, comme les bus du Coeur des femmes, qui sillonnent la France pour proposer un bilan cardio-vasculaire et faire de la prévention, notamment en zone rurale

Les femmes sont éduquées à prendre soin des autres, de leur mari, leurs enfants, leurs petits-enfants. Au risque d’oublier de prendre soin de sa propre santé. Pourquoi ne prend-on pas mieux en charge la santé des femmes ?

Le docteur Jean- Philippe Estrade, le gynécologue spécialiste de l’endométriose livre une analyse sans concession : « Ce sont les femmes qui font tenir la société, sans se plaindre. Alors, on ne veut pas regarder leurs douleurs, de peur que tout s’effondre ».

Margaïd Quioc


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