Marseille en manque de salle de shoot

Halte Soins Addictions : les riverains manifestent leurs craintes

Depuis l’enquête de Mediavivant et Marsactu, un nouveau lieu pour la « salle de shoot » a été annoncée à Marseille. Les habitants s’inquiètent, malgré les mesures de précaution annoncées.

Publié le 21 Nov 2023

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Dernière mise à jour le  29 Nov 2023  à  16h54.

Le collectif "Enfants Libération" manifeste contre la localisation de la future Halte Soins Addictions, dans le quatrième arrondissement de Marseille. 18 novembre 2023. Crédits : D. Gastaldi
Le collectif "Enfants Libération" manifeste contre la localisation de la future Halte Soins Addictions, dans le quatrième arrondissement de Marseille. 18 novembre 2023. Crédits : D. Gastaldi

Avec ses couleurs pastel, l’affiche ressemblerait presque à une invitation à un goûter d’anniversaire. À la main, les manifestants tiennent des ballons rouges et installent un stand de barbe à papa pour les enfants, devant le 110 boulevard de la Libération. Derrière la table, un tag rose dénote avec l’ambiance : « Non à la salle de shoot », peint à la va-vite sur la porte d’entrée.

Ce 18 novembre, environ deux cents personnes du collectif « Enfants Libération » défilent contre l’implantation d’une Halte Soins Addictions (HSA) pour les personnes toxicodépendantes, six heures par jour et 7j/7, aux Cinq Avenues (4e arrondissement). Leur mouvement s’est constitué le lendemain de l’annonce faite par la mairie, le 13 octobre, après des années de rebondissements et un précédent projet avorté vers la gare Saint-Charles comme détaillé dans l’enquête sur scène «Quand la ville ignore ses toxicomanes » de Marsactu et Mediavivant. 

Bras droit du maire et médecin, Michèle Rubirola, la première adjointe en charge des questions de santé, attend la signature finale du ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, pour ouvrir ce lieu au premier trimestre 2024. Les HSA sont un dispositif expérimenté pour les personnes toxicodépendantes, afin de consommer des drogues sous supervision d’un personnel de santé, avec du matériel stérile, dans un objectif de réduction des risques voire de sevrage.

Des parents inquiets

La principale crainte des riverains est de voir des personnes droguées s’installer dans ce «quartier familial», proche d’établissements scolaires. Pour le symbole,  une couronne de fleurs funéraire « À notre quartier bien aimé » est accrochée à l’entrée du futur lieu. La bataille de communication se mène aussi sur les réseaux sociaux avec des slogans-choc «Pas de crack à la cantine», «Des bonbons ou 1 fix ?». Une cagnotte a même été lancée pour imprimer des flyers et affiches.

« Ça doit être près d’un hôpital, pas près d’un collège », propose Marion, une des porte-paroles. Selon leur estimation, environ 5 000 élèves fréquentent le quartier, dans un périmètre large incluant les établissements privés et le périscolaire. Daniel Fernandez, 44 ans et développeur de projet, y réside depuis dix ans et fait partie des trente membres actifs du mouvement. « C’est une peur rationnelle. On est juste des parents inquiets qui ne comprennent pas ce choix », explique-t-il. Comme lui, plusieurs militants assurent ne pas être contre le principe d’une HSA, mais pas à cet endroit.

Le collectif "Enfants Libération" manifeste contre la localisation de la future Halte Soins Addictions, dans le quatrième arrondissement de Marseille. 18 novembre 2023. Crédits : D. Gastaldi

Manifestation du 18 novembre 2023 contre la Halte Soins Addictions, qui ouvrira boulevard de la Libération dans le 4e arrondissement de Marseille. Crédits : D.Gastaldi

À ses côtés dans la marche, Cynthia G., 43 ans , dit être pleinement engagée dans l’accompagnement des usagers de drogues par son métier de pharmacienne. « Le risque est énorme avec plus de 5 000 enfants qui vont être en contact avec ces personnes droguées », estime-t-elle. Dans un courrier adressé à l’Agence Régionale de Santé (ARS) le 13 novembre, elle écrit : « Il n’y a pas de toxicomanie de rue (…) En 15 ans, on ne m’a rapporté que deux seringues ». Plus loin, Anne-Marie Durhône, habitante du quartier depuis 10 ans, raconte avoir déjà vu « quelques toxicomanes aux abords du quartier ou des guetteurs » parfois. « Il ne faut pas en rajouter », insiste celle dont l’occupation est d’accompagner des enfants du quartier à l’école. De son côté, Stéphane Akoka, directeur de l’association Asud Mars Say Yeah qui sera en charge du lieu, assure que quelques seringues ont déjà été trouvées à l’arrière du bâtiment rue Chape. « Ce n’est pas un gros spot mais ça arrive qu’il y ait des personnes qui se droguent dans les cages d’escaliers, qu’il y ait un peu de deal vers Cinq Avenues », ajoute-il. Tout en restant très loin du niveau des zones de trafic comme Colbert ou le square Labadié.

« La justice s’appliquera »

Une autre peur se diffuse dans l’assistance au sujet de la mise en place d’un « périmètre d’impunité pénale autour de la HSA ». « Ça va drainer des dealers », s’inquiète Marion. «C’est faux, la justice s’appliquera si des gens commettent des actes délictueux», rétorque Stéphane Akoka en lien avec la mairie et les autorités. Il précise : « Il y aura une tolérance pour ceux qui viennent à la salle avec une dose sur eux. Pas avec un kilo ! Le procureur a été très clair : il mettra en place la puissance publique contre ça ». La police est associée au projet de la HSA, rassure-t-il. Un vigile et des médiateurs seront présents en permanence.  «Il n’est pas question de laisser s’implanter des points de deal», poursuit-il. À l’intérieur du bâtiment, une cour permettra d’accueillir la file d’attente pour qu’il n’y ait pas d’attroupements ni de nuisances dans la rue, assure le militant, désamorçant point par point les fausses informations et les « fantasmes » sur les « junkies » alimentés par les opposants selon lui.

Un goûter est organisé par le collectif "Enfants Libération" devant le 110 boulevard Libération, emplacement de la future Halte Soins Addictions, dans le quatrième arrondissement de Marseille. 18 novembre 2023. Crédits : D. Gastaldi
Fin de la manifestation du collectif « Enfants Libération » devant le 110 boulevard de la Libération. L’emplacement de la future Halte Soins Addictions, dans le quatrième arrondissement de Marseille, a été tagué par les opposants. 18 novembre 2023. Crédits : D. Gastaldi

Dans la foule, les anciens maires des 4e et 5e arrondissements, Marine Pustorino (LR) et Bruno Gilles, ex-LR et chef de file d’Horizon à Marseille, sont présents. « Un toxicomane est un malade et un malade se soigne à l’hôpital », tranche Bruno Gilles, dont la fille est scolarisée dans un établissement privé à moins de 300 mètres. Pour lui, la HSA est « une rustine ».  Du côté d’ Asud, on rappelle qu’il y aura des infirmiers en permanence et un médecin à mi-temps ainsi qu’un service de l’Assistance Publique et Hôpitaux de Marseille (APHM) qui s’occupe de psychiatrie et de précarité. À terme, il y aura éventuellement une HSA mobile, à la rencontre des toxicomanes, mais le dispositif législatif ne le permet pas encore.

Abordé par des manifestants, Stéphane Ravier du parti zemmouriste Reconquête avait lancé une pétition contre le premier projet imaginé d’abord vers la gare Saint-Charles. « Des vendeurs vont venir, il y aura des bagarres », prédit le sénateur d’extrême-droite (ex-FN, ex-RN), en insistant sur l’insécurité. Lui se positionne contre les HSA «que ce soit ici ou ailleurs»« On va encore être taxé de réacs de droite », souffle un cofondateur du mouvement qui se revendique apolitique, en apercevant l’élu dans la foule. A l’opposé du spectre, plusieurs riverains racontent avoir voté pour la coalition de gauche et écologiste du Printemps marseillais. La « salle de shoot » était inscrite dans le programme politique pour lequel ils ont voté, mais ils regrettent un manque de transparence et de concertation.

Dans un courrier adressé au comité de pilotage le 7 novembre, des associations de parents d’élèves réclament leur implication dans le développement de la HSA et la mise en place d’un observatoire sur les addictions. Dès que le projet sera lancé, un comité de voisinage verra le jour, notamment pour décider des horaires d’ouverture et des points de vigilance à avoir. Un numéro de téléphone spécial sera mis en place pour répondre aux questions des habitants et commerçants de la ville, la troisième à accueillir une Halte Soins Addictions après Paris et Strasbourg.

Daphné Gastaldi


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