Féminisme
Amandine, colleuse corse : « Ici, il ne faut surtout rien dire »
Sur l’île, des mouvements féministes émergent contre les violences faites aux femmes. Amandine s’est engagée au sein des Collages Féminicides Corses, contre le culte du secret. Suite à son décès annoncé le 29 octobre 2024, nous rediffusons son portrait.
C’est un 8 mars qu’ Amandine a contacté pour la première fois le collectif Collages Féminicides Corses. À Bastia, la jeune femme alors âgée de 22 ans, se décide à «militer» au sein du collectif pour briser l’omerta sur les violences faites aux femmes. « C’est vraiment ça l’important, porter la voix de quelqu’un qui ne peut pas en parler» et «se réapproprier la rue», insiste-t-elle.
Le collectif a émergé quelques mois plus tôt, fin 2019. «Le premier collage, c’était à Marseille, après le féminicide de Julie.» En référence à Julie Douib, une jeune femme corse assassinée par balle par son ex-conjoint, le 3 mars 2019 à Île Rousse.
Le féminicide de trop. Celui qui pour Amandine, a marqué « un véritable tournant » de par son caractère systémique : « l’histoire d’une femme qui avait porté plainte et qu’on n’a pas écoutée. » Cinq mains courantes et six plaintes avaient été déposées par la victime contre son ex-conjoint. Le féminicide est devenu alors le symbole du mouvement contre les violences sexistes et sexuelles en Corse.
Le collectif #NousToutes a comptabilisé 134 féminicides en France en 2023. En Corse, huit femmes ont été tuées par leur compagnon, mari ou ex-conjoint entre 2010 et 2020.
« Il ne faut surtout rien dire »
Selon Amandine, l’insularité peut renforcer le silence qui accompagne ces agressions. « Les problèmes intrafamiliaux, c’est ce qui nous touche le plus. Ici, tout le monde se connaît. » Sur l’île, chaque habitant(e) représente sa famille, son village. Originaire de Nonza dans le Cap Corse, elle ajoute qu’ici « il ne faut surtout rien dire » de façon à ce que « que personne ne voit ce qu’il se passe à l’intérieur. »
Elle s’interrompt. Une pointe d’ironie se dessine au coin de sa bouche. Elle reprend : «Il ne faut rien dire : ni en bien, ni en mal. Finalement, tout le monde se connaît mais personne ne se connait personnellement ».
Par agressions intrafamiliales, on entend les violences conjugales, l’inceste et les violences exercées sur les enfants. Or, en Corse « et sûrement plus qu’ailleurs, l’intrafamilial est inaccessible et partout, tout le temps ».
C’est en s’interrogeant sur les questions LGBTQIA+ qu’Amandine est parvenue au féminisme. « J’ai toujours su que j’aimais les femmes ». Le combat féministe s’est révélé «comme un moyen d’avancer» dans son coming out. Son engagement militant lui a donné l’élan. Parce qu’avec les colleuses, «j’ai pu être qui je suis réellement et dès le début. Avec elles, tu viens militer et coller avec ce que tu es, et non pas avec l’image que tu te fabriques.»
« Je me suis créé un safe cercle » à travers le militantisme
Au lycée, elle a assisté à de nombreux slut-shaming, qui consistent à culpabiliser toute femme dont l’attitude, le comportement ou l’aspect physique sont jugés provocants, trop sexuels ou immoraux. Elle n’a rien dit, « alors que c’était complètement révoltant. Ces filles se sont battues. On était mal à l’aise pour elles, alors qu’aujourd’hui, je me dis qu’elles étaient en avance sur leur temps. » Alors pour Amandine, s’engager dans un collectif féministe, c’était aussi se créer « un safe cercle ».
En juin 2020, une libération de la parole inédite s’est produite avec le mouvement #Iwas incitant toute une génération à dénoncer sur les réseaux sociaux les violences sexistes subies. « Pendant des semaines, on a rassemblé et recensé de nombreux témoignages pour les formuler ensuite à travers les collages. » Pneus crevés, insultes, intimidations… Le mouvement n’a pas été bien accueilli par les locaux de l’île. Pour autant, Amandine ne cesse de militer, avec un attrait particulier pour exercer la nuit « qui porte ». Agir dans l’obscurité, c’est savoir s’approprier l’espace, « c’est une sensation indescriptible ».
Janvier 2023 a connu une nouvelle vague de mobilisations au nord de l’île. Amandine et le collectif ont affiché dans Bastia des témoignages de femmes déclarant avoir été victimes «de propos ou de gestes déplacés de la part de médecins» exerçant à l’hôpital de la ville. Jusqu’à organiser des manifestations. Une période importante mais pas anodine. « On ne s’en rend pas compte, mais, émotionnellement, c’est très compliqué. »
« On aspire à un lieu dédié »
Si les mouvements féministes émergent en Corse, Amandine n’est pas certaine que les mobilisations soient connues ou suivies lorsqu’on n’est ni engagé(e), ni informé(e) « comme dans mon cercle du lycée par exemple ». Un combat insuffisamment relayée par les politiques corses. « Parce que dans leur imaginaire, ça ne touche pas assez de monde », se désole-t-elle.
D’une voix calme et assurée, Amandine se projette volontiers. Et pour cause, les mobilisations la confortent dans son engagement. « Quand on organise une manifestation, un collage ou une prise de parole, on voit qu’on est capable de rassembler du monde. » Avec l’espoir de voir naître sur l’île des lieux représentatifs « où il y a des gens qui nous ressemblent ». Dans l’enquête sur « 50 ans de féminisme à Marseille », Margaux Mazellier désigne des initiatives ayant permis aux femmes de prendre leur place dans l’espace public.
Pour Amandine, « le rêve ultime serait d’ouvrir un bar féministe ou LGBT ». Un lieu où se rassembler, échanger et débattre. Un lieu où peut-être, un femme corse qui n’est « ni maman, ni Madone, ni femme vierge » trouverait sa place.
Alix de Crécy