Démocratie

Ariane Lavrilleux, le journalisme « n’est pas un contre-pouvoir, c’est un pouvoir »

À peine sortie d’une longue garde à vue, la journaliste est montée au créneau pour défendre la liberté d’informer. Face aux États généraux de l’information lancé mardi, sa colère crie l’importance de protéger les secrets des sources.

4 Oct 2023
Ariane Lavrilleux a été en garde à vue 39 heures suite à ses révélations sur la coopération franco-égyptienne. Crédits: Marie Rouge (Photo), E. de Crécy (Illustration)
Ariane Lavrilleux a été en garde à vue 39 heures suite à ses révélations sur la coopération franco-égyptienne. Crédits: Marie Rouge (Photo), E. de Crécy (Illustration)

« Make journalism great again », c’est avec cette inscription sur son t-shirt qu’Ariane Lavrilleux est libérée de l’hôtel de police de Marseille le 20 septembre. Les policiers la feront sortir par l’arrière. Elle ne peut rejoindre ses soutiens qui l’attendaient. Après 39 heures de garde à vue, une perquisition de son domicile, les autorités tentent encore de retarder au plus tard la prise de parole de la journaliste indépendante qui enquête pour Disclose. Elle répondra aux intimidations avec d’autant plus de force.

Dès le lendemain, à Paris, la journaliste de 36 ans dénonce. Lors de la conférence de presse organisée par Reporters sans frontières et Disclose, sa voix tremblante se fait peu à peu plus ferme : « Mon arrestation, elle arrive après une série d’attaques contre la presse, une série d’auditions, de convocations, d’intimidations de journalistes ces dernières années, qui se multiplient essentiellement sous la présidence d’Emmanuel Macron » et de poursuivre, le regard droit : «ce qui se joue là, ce n’est pas juste une petite histoire personnelle (…), c’est notre droit à nous citoyens, citoyennes de savoir ce que font les gouvernements en notre nom.»

Son 1m51 qui se faufile sans bruit dans le public lors des enquêtes sur scène de Mediavivant, dont elle est une habituée, est trompeur. Cette adepte de la boxe depuis cinq ans peut être à la fois discrète et combative.

« Ils installent leur logiciel, ils fouillent tous mes carnets »

Elle a été placée en garde à vue dans le cadre d’une enquête ouverte dès 2022, pour « compromission du secret de la défense nationale » et « révélation d’information pouvant conduire à identifier un agent protégé »

Elle ne peut imaginer d’exception au secret des sources. Quand le 19 septembre, elle voit 9 personnes, des agents du renseignement et des magistrats « avec des mines patibulaires », sur son palier qui lui signifient sa garde à vue et la perquisition de son appartement. Elle a d’abord le réflexe de rétorquer : « Je suis journaliste, ça ne va pas se passer comme ça ». La perquisition qu’elle pense voir expédier en une dizaine de minutes  « va en fait durer dix heures ». « Ils installent leur logiciel, ils prennent les disques durs, ils regardent chacune des clefs USB, chacune des cartes SIM, chacun des enregistreurs, ils fouillent tous mes carnets ».

Une procédure possible à cause du flou de la loi Dati de 2010. Il peut être porté atteinte au secret des sources « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie ». Sept des dix documents saisis par la police lors de la perquisition seront versés à la procédure. En cause ? Une série d’enquêtes sur les ventes d’armes de la France à des régimes autoritaires et la coopération anti-terroriste franco-égyptienne basés sur des informations classées « confidentiel-défense ». Son travail révèle au grand public l’opération « Sirli », ces opérations menées par la direction du Renseignement militaire (DRM) et utilisées par la dictature d’Al-Sissi pour bombarder des civils. 

Dans le costume de porte-parole

La profession se mobilise. Une quarantaine de sociétés de journalistes s’insurgent contre « une attaque sans précédent contre la protection du secret des sources des journalistes » lors de sa garde à vue. La médiatisation prend progressivement de l’ampleur lorsqu’elle est remise en liberté. Son arrestation percute l’ouverture des États généraux de l’information ce mardi. Une promesse de campagne d’Emmanuel Macron pour « donner aux journalistes le meilleur cadre pour remplir leur mission essentielle ». Ariane Lavrilleux, elle, n’a pu être accompagnée de son avocat qu’après 10 heures de garde à vue. Les annonces contre les faits.

Elle monte au créneau presque malgré elle, pour défendre sa profession. « Ce n’est pas mon style d’être sur le devant de la scène, je préfère organiser que prendre la parole. Mais là, il a fallu se défendre », explique-t-elle à Mediavivant. Se défendre à la fois contre « ces médias qui se montent pour désinformer et le gouvernement qui intimide des journalistes qui font leur travail avec rigueur ». Elle appelle à un sursaut collectif. « Je vois le journaliste comme un recours, comme une sorte de service public pour les gens. Ce n’est pas un contre-pouvoir, c’est un pouvoir qu’ont les citoyens à disposition », dit-elle depuis la Libye où elle est en ce moment en reportage.

Elle est toujours attachée à l’Égypte et ne manque pas une occasion de rappeler la répression politique. Elle a découvert le pays avec la révolution en 2011 quand la place Tahrir est en ébullition. Pour Europe 1, elle cherchait des témoignages. Le pays ne la quittera plus. Aujourd’hui indépendante, elle se sent « plus vulnérable » avec un rapport frontal avec le gouvernement égyptien ou français bien qu’elle ait été fortement soutenue par Disclose après son arrestation.

Protéger ses sources par le silence

Lors des interrogatoires à répétition insistant sur ses sources, elle tient bon. Elle « invoque son droit au silence » ou lâche un « pas de commentaires ». « Ce sont les deux phrases que je répétais en permanence. » Sa cellule au commissariat est son exutoire et elle grave sur les murs une citation de la journaliste Andrée Viollis : « Si servir la vérité, c’est desservir la France, j’accepte volontiers le blâme ».

Elle lit les ouvrages de l’ancienne résistante, auteur d’ « Indochine SOS » dénonçant la répression coloniale française grâce au Prix Albert Londres dont Ariane faisait partie des sélectionnés. « J’ai découvert la Nellie Bly française mais qui a été complètement effacée de l’histoire ». De quoi mettre en colère la secrétaire générale de Prenons la Une, une association de journalistes qui milite pour une juste représentation des femmes dans les médias. Elle prépare une BD sur cette contemporaine d’Albert Londres pour le magazine La Déferlante, à paraître l’année prochaine.

Pour l’heure, elle n’est pas partisane du boycott des États-généraux de l’information qu’elle voit comme « une opportunité ». Mais si cela se termine « en queue de cerise, là il faudra protester. » Sur les photos d’elle publiées après sa libération, toujours sa mèche barrant le front, une veste en cuir protectrice, son regard droit et une nouvelle inscription sur son t-shirt : « This journaliste fait trembler l’État ».

Jean-Baptiste Mouttet


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