Education
Paul Tarraud : « On peut aborder tous les sujets sensibles avec les élèves »
Le professeur d’histoire-géographie n’a pas le sentiment d’être plus une cible qu’avant l’assassinat de Dominique Bernard. Pour lui, il faut continuer de débattre avec les jeunes.
« Pour la première fois, je me suis dit que ça aurait pu arriver dans le collège. » Professeur d’histoire-géographie dans un collège d’Arles classé REP (Réseau d’éducation prioritaire), Paul Tarraud n’a pas vécu l’assassinat de Dominique Bernard le 13 octobre dernier comme celui de Samuel Paty, il y a trois ans. Cette fois, il n’est pas question de liberté de la presse et du droit à la caricature mais d’une haine envers la République, la démocratie et leurs représentants.
Pour autant, l’enseignant de 39 ans l’assure, lui ne veut rien changer. « Je ne me sens pas menacé et je reste persuadé qu’on peut aborder tous les sujets sensibles avec les élèves. » Contrairement aux 56 % de profs qui s’autocensurent sur les sujets de religions, selon un sondage Ifop de décembre 2022 (+ 20 % par rapport à la période avant l’assassinat de Samuel Paty), ou à certains collègues qui s’inquiètent des « sujets sensibles ». Paul Tarraud juge qu’on peut et doit toujours débattre de tout avec les élèves. De l’islam, du voile, de la guerre d’Algérie comme des identités de genre ou de la Shoah. « L’année dernière, j’ai eu une élève de quatrième qui a beaucoup insisté sur l’interdiction du voile à l’école, en éducation morale et civique. Elle ne le porte pas mais se pose des questions. On a reparlé de la loi, qui est la même pour tous. Elle a le droit de ne pas être d’accord, mais c’est aussi une gamine qui perçoit le double discours des autorités et l’islamophobie ambiante », développe le professeur.
« On porte trop de choses »
Sur tous ces sujets, la pédagogie des enseignants est pour lui essentielle. « Je fais peut-être plus attention qu’il y a quinze ans à mes propos, mais quand j’aborde l’islam en classe de 5e, je sais que certains élèves connaissent bien le sujet. Je vais donc avoir tendance à plus choisir mes mots que lorsque j’aborde l’empire byzantin », illustre l’Arlésien. Autre exemple sur la laïcité : « Tu n’es pas obligé de l’aborder avec des caricatures. D’autant plus qu’il y a plein de moments dans les programmes où tu peux faire le lien entre religion et pouvoir, et qui te permettent aussi de t’arrêter sur la situation actuelle. »
Le corps enseignant subit également les injonctions incessantes de la part du gouvernement, des institutions, et même des parents. « On nous demande de porter trop de choses, regrette Paul Tarraud. Des profs qui ne sont pas profs d’histoire-géo se sont ainsi retrouvés en difficultés sur la laïcité après les attentats de Charlie Hebdo et l’assassinat de Samuel Paty. Pour eux, ça n’est pas une notion simple. » Et d’insister : « Si tu ne maîtrises pas ton sujet, tu peux te retrouver en difficulté. » Un problème qu’il retrouve dans ses matières : « On demande aux profs d’histoire-géo de prendre en main des sujets d’actualité. Mais on n’est pas des journalistes, on travaille sur des sujets qui ont déjà été étudiés, analysés par des spécialistes ».
Résultat, l’enseignant n’a pas pu pousser le débat très loin avec ses classes après l’assassinat de Dominique Bernard : « À chaud, c’était trop compliqué. »
Jean-François Poupelin
