Trafic de drogue

Pierrick Guillon : «Les coups de feu font partie du quotidien»

Après le nombre record d’homicides liés au trafic de drogue à Marseille, Mediavivant a rencontré un psychologue de terrain qui intervient auprès des familles dans les cités.

7 Sep 2023
« Une génération ne suffira pas pour voir les choses changer », selon le le psychologue Pierrick Guillon. Crédits: Mediavivant
« Une génération ne suffira pas pour voir les choses changer », selon le le psychologue Pierrick Guillon. Crédits: Mediavivant

Cela fait maintenant vingt ans que Pierrick Guillon, 55 ans, est sur le terrain. Dans les cités de Marseille, à Kalliste, la Castellane ou la Bricarde. Les homicides, quarante-deux morts liés au trafic de stupéfiants depuis le début de l’année, il en voit les conséquences au quotidien en tant que psychologue au sein d’une association d’insertion par la santé. 

Début septembre, un collectif de familles a même saisi la justice administrative « pour obtenir le retour de l’État de droit dans les quartiers abandonnés ». « Les coups de feu font partie de leur quotidien », explique Pierrick. Cette violence est un drame supplémentaire « dans une vie de précarité ». Il insiste sur cette réalité, ces couches de violences sociales. Comme les familles, il a lui-même intégré cette violence, toujours dénoncée mais bien présente.

Pierrick a cette force de caractère, qui permet à certains de sourire en racontant le plus dur, avec un brin d’ironie souvent. L’air bonhomme, la barbe poivre et sel, il est l’oreille des 12-25 ans à l’association Imaje Santé. Il suit des jeune victimes ou impliquées dans des violences au sein des quartiers, lors des  permanences dans les locaux de son association,  aux pieds des marches du cours Julien à Marseille. Derrière la porte d’entrée taguée, les infirmiers, psychologues ou travailleurs sociaux accueillent les jeunes en situation de vulnérabilité ou qui ont fui leur pays.

Une absence de réponses institutionnelles

En face, se trouve le service de probation pénitentiaire. Des jeunes adultes avec bracelets électroniques se retrouvent parfois ici, pour respecter l’obligation de soins décidée lors de la procédure pénale. Sur le terrain, leur action n’a rien à voir avec le debriefing traumatique, que des cellules font après des attentats ou des catastrophes naturelles. 

Pierrick, sollicité le plus souvent par des centres sociaux ou des structures scolaires, organise des groupes de paroles, parfois après une énième fusillade. Une fois par mois, il se rend auprès de mères de famille dans une cité dont il tait le nom. Elles lui racontent leur peur, s’impatientent parfois de devoir « encore parler de ça », des meurtres par balles. 

Les adolescents ne viennent pas tellement à ces groupes de paroles. Ce sont surtout les parents qui franchissent la porte. « Les mères sont très inquiètes pour les enfants, les empêchent de sortir. Ça crée des conflits avec les ados », poursuit-il. Quand les plus jeunes arrivent à parler d’un meurtre vécu directement ou indirectement, ils se concentrent d’abord sur leur souvenir visuel, les tâches de sang sur le sol, la peur mais « il faut tenir », font-ils ressentir à Pierrick. Surtout, lui s’attache à ne pas creuser si les personnes en face de lui ont réussi à mettre en place un système de défense. «On ne va pas forcément chercher le douloureux», dit-il.

Au fil des années, il ne voit pas la situation évoluer. Le psychologue regrette de faire «des soins palliatifs dans le social» et dénonce l’absence de réponses institutionnelles suffisantes. Où sont les solutions pour l’emploi, le logement, la pauvreté dans ces quartiers ? Une impasse qui laisse le psychologue sceptique : « Une génération ne suffira pas pour voir les choses changer ».

Daphné Gastaldi


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